La huppe

 

 

 

APRÈS que le corbeau fut venu troubler les heureux moments que je passais dans ce jardin, et qu’il m’eut engagé à me tenir en garde contre la haine que je pourrais m’attirer, je cessai de faire attention aux riants objets qui m’environnaient, et je retournai à la solitude de mes pensées : alors une douce rêverie s’étant emparée de moi, je me sentis comme inspiré, et je crus entendre distinctement ces paroles : Ô toi qui écoutes le langage énigmatique des oiseaux, et qui te plains que le bonheur semble te fuir, sache que, si le cœur était attentif à s’instruire, l’intelligence pénétrerait le sens des allégories ; le pèlerin de ce monde demeurerait dans la voie, et celui que les plaisirs éblouissent, ne s’égarerait pas. Si l’esprit était bon, il pourrait apercevoir les signes de la vérité ; si la conscience savait comprendre, elle apprendrait sans peine les bonnes nouvelles ; si l’aine s’ouvrait aux influences mystiques, elle recevrait des lumières surnaturelles ; si l’on savait écarter le voile, l’objet caché se montrerait ; si l’intérieur était pur, les mystères des choses invisibles paraîtraient à découvert, et la divine maîtresse se laisserait voir. Si tu t’éloignais des choses du monde, la porte du spiritualisme s’ouvrirait pour toi ; si tu te dépouillais du vêtement de l’amour-propre, il n’existerait pour toi aucun obstacle ; si tu fuyais le monde de l’erreur, tu verrais le monde spirituel ; si tu coupais les liens qui t’attachent aux plaisirs des sens, les vérités dogmatiques se montreraient à toi sans nuages ; et si tu réformais tes mœurs, tu ne serais point privé de l’aliment divin. Si tu renonçais à tes désirs, tu parviendrais au plus haut degré de la vie contemplative ; si tu subjuguais tes passions, Dieu te rapprocherait de lui ; il te réunirait à lui, si, pour lui plaire, tu te séparais de ton père ; enfin si tu renonçais à toi-même, tu trouverais auprès de la divinité la plus douce des demeures. Mais, bien loin de là, captif dans le cachot de tes inclinations, enchaîné par tes habitudes, esclave des voluptés, soumis aux illusions des sens, tu es retenu par la froideur de ta détermination, tandis que le feu de la cupidité te consume, et que l’excès d’une joie insensée t’accable. Une langueur funeste t’aveugle ; les impulsions d’un amour déréglé t’enflamment le sang ; ta faible volonté ne forme que des résolutions tièdes, et ne se livre qu’à des pensées glacées ; ton esprit corrompu te jette dans un état d’hésitation pénible, et ton jugement vicieux te fait paraître mauvais ce qui est bon, et bon ce qui est mauvais.

 

Tu devrais entrer dans l’hôpital de la piété, et, présentant le vase de l’affliction, exposer le récit de tes souffrances à ce médecin qui connaît ce qu’on tient secret et ce qu’on lui découvre. Tu devrais tendre vers lui le poignet de ta soif brûlante, pour qu’il tâtât le pouls de ta maladie, qu’il examinât la nature de ta fièvre, et qu’après avoir connu exactement ta situation malheureuse, il te livrât à celui qui est chargé d’infliger les peines de la loi, lequel te lierait avec les liens de la crainte, te frapperait avec les verges de l’indécision et de la futurition, en te rafraîchissant en même temps avec l’éventail de l’espérance ; te garderait ensuite dans le sanctuaire de la protection, et écrirait sur le cahier de ton traitement le rétablissement de ta santé. Il préparerait pour toi le myrobalan du refuge, la violette de l’espoir, la scammonée de la confiance, le tamarin de la direction, la jujube de la sollicitude, la sébeste de la correction, la prune de la sincérité et la casse du libre arbitre ; il concasserait le tout sur la terre de l’acceptation, le pilerait dans le mortier de la patience, le tamiserait dans le tamis de l’humilité, le dépurerait par le sucre de l’action de grâces, et t’administrerait ensuite ce médicament, après la veille nocturne, dans la solitude du matin, en présence du médecin spirituel, en tête– à-tête avec la divine amie, à l’insu du rival jaloux, pour voir si ton agitation s’apaiserait ; si la chaleur de tes passions se refroidirait, si ton cœur, que les voluptés t’avaient arraché, pourrait reprendre sa place, si ton tempérament acquerrait ce degré d’équilibre qui constitue la santé spirituelle ; si ton oreille pourrait s’ouvrir au langage mystique, et entendre ces douces paroles, Quelqu’un demande-t-il quelque chose ! je suis prêt à l’exaucer ; pour voir enfin si ta vue intérieure ferait des efforts afin d’être éclairée, et si tu serais capable de contempler les choses extraordinaires et merveilleuses du spiritualisme.

 

Considère la huppe : lorsque sa conduite est régulière et que son cœur est pur, sa vue perçante pénètre dans les entrailles de la terre, et y découvre ce qui est caché aux yeux des autres êtres ; elle aperçoit l’eau qui y coule, comme tu pourrais la voir au travers d’un cristal ; et, guidée par l’excellence de son goût et par sa véracité, Voici, dit-elle, de l’eau douce, et en voilà qui est amère. Elle ajoute ensuite : Je puis me vanter de posséder, dans le petit volume de mon corps, ce que Salomon n’a jamais possédé, lui à qui Dieu avait accordé un royaume comme personne n’en a jamais eu ; je veux parler de la science que Dieu m’a départie, science dont jamais ni Salomon, ni aucun des siens, n’ont été doués. Je suivais partout ce grand monarque, soit qu’il marchât lentement, soit qu’il hâtât le pas, et je lui indiquais les lieux où il y avait de l’eau sous terre. Mais un jour je disparus tout à coup, et, durant mon absence, il perdit son pouvoir : alors s’adressant à ses courtisans et aux gens de sa suite, Je ne vois pas la huppe, leur dit-il ; s’est-elle éloignée de moi ! S’il en est ainsi, je lui ferai souffrir un tourment violent, et Peut-être l’immolerai-je à ma vengeance, à moins qu’elle ne me donne une excuse légitime. (Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’il ne s’informa de moi que lorsqu’il eut besoin de mon secours.) Puis voulant faire sentir l’étendue de son autorité, il répéta les mêmes mots : Je la punirai; que dis-je ! je l’immolerai. Mais le Destin disait : Je la dirigerai vers toi, je la conduirai moi-même. Lorsque je vins ensuite de Saba, chargée d’une commission pour ce roi puissant, et que je lui dis, Je sais ce que tu ne sais pas, cela augmenta sa colère coutre moi, et il s’écria : Toi qui, dans la petitesse de ton corps, renfermes tant de malice, non contente de m’avoir mis en colère, en t’éloignant ainsi de ma présence, tu prétends encore être plus savante que moi ! Grâce, lui dis-je, ô Salomon ! je reconnais que tu as demandé un empire tel qu’aucun souverain n’en aura jamais de semblable ; mais tu dois avouer aussi que tu n’as pas de même demandé une science à laquelle personne ne pût atteindre : je t’ai apporté de Saba une nouvelle que tous les savants ignorent. Ô huppe, dit-il alors, on peut confier les secrets des rois à celui qui sait se conduire avec prudence ; porte donc ma lettre. Je m’empressai de le faire, et je me hâtai d’en rapporter la réponse. Il me combla alors de ses faveurs ; il me mit au nombre de ses amis, et je pris rang parmi les gardiens du rideau qui couvrait sa porte, tandis qu’auparavant je n’osais en approcher : pour m’honorer, il me plaça ensuite une couronne sur la tête, et cet ornement ne sert pas peu à m’embellir. D’après cela, la mention de mon immolation a été abrogée, et les versets où il est question de ma louange ont été lus.

 

Pour toi, si tu es capable d’apprécier mes avis, rectifie ta conduite, purifie ta conscience, redresse ton naturel, crains celui qui t’a tiré du néant, profite des leçons instructives qu’il te donne, quand même il se servirait, pour le faire, du ministère des animaux ; et crois que celui qui ne sait pas tirer un sens allégorique du cri aigre de la porte, du bourdonnement de la mouche, de l’aboiement du chien, du mouvement des insectes qui s’agitent dans la poussière ; que celui qui ne sait pas comprendre ce qu’indiquent la marche de la nue, la lueur du mirage, la teinte du brouillard, n’est pas du nombre des gens intelligents.

 

 

VERS.

 

Tu es plus douce à mes yeux que le souffle du zéphyr qui erre la nuit dans les jardins : la moindre idée me trouble et m’agite ; chaque objet agréable me semble être une coupe où j’aperçois tes traits adorés, et dans chaque son je crois entendre ta voix chérie.

 

 

Azz-eddin ELMOCADDESSI,

« Allégorie XXIX », Les fleurs et les oiseaux.

 

 

 

 

 

 

 

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