À mon frère Jean
Je te salue mon frère Jean,
Et ainsi que moi sur la route,
Qui as marché et dans le vent,
Et en la poussière du doute,
Sachant que dans la vie qu’on a
Les autres mentent, qu’on connaît,
Et que d’avoir en eux pris foi,
Il n’est en nous que le regret,
Et que s’il est choses qu’on aime
Que l’on touche, ou bien que l’on voit,
Ce n’est que reflet de soi-même
Et dont le songe dit l’émoi.
Je te salue, mon frère Jean,
Aujourd’hui qu’en nous c’est l’automne,
Et loin là-bas nos bleus printemps
Dans l’oubli des heures qui sonnent,
Nous qui avions rêvé des îles
Dans les jours clairs qu’ont les étés,
Et que pour des raisons futiles
Nous n’avons las ! pas abordées.
Je te salue, mon frère Jean,
Nous aussi qui avons aimé,
D’âme toute et de cœur ardent
Celles et qui nous ont trompé,
Nous qui savons dorénavant
Que dans les plus douces étreintes,
C’est la chair seule qui ne ment
En celles qui ne sont des saintes,
Dans les Judées d’amour qu’on sut
En des heures lasses, démentes,
Au bord des quais, quand âme tue
C’est le sang, d’avoir bu, qui chante,
Et celles qui passent en nous,
En l’instant amer ou bien doux,
Sont comme puits, aux jours d’été,
Où l’on va sa soif apaiser.
Je te salue, mon frère Jean,
Voici pour nous l’heure qui sonne,
La mer est là-bas dans le vent,
Et dans nos cœurs il n’est personne,
Prenons nos ailes, ô mon frère,
Comme les oiseaux ou les anges,
Pour aller trouver la lumière
Et nous vêtir de blanches langes.
Max ELSKAMP.
Recueilli dans La poésie francophone
de Belgique 1804-1884,
par Liliane Wouters et Alain Bosquet,
Éditions Traces, 1985.