Gratitudes

 

 

                         I

 

Choses qui nous fûtes d’aumône,

Aux jours que nous avons comptés.

En ce pays gris et d’automne

Dans les mois longs comme d’années,

Soleil ici pour commencer,

Qui parfois nous a dit l’été,

Arbres si souvent fraternels

D’abri mouvant les jours de pluie,

Et mer, elle, parfois cruelle,

Mais douce à ses heures aussi,

Justice ici vous soit rendue,

Vous qui nous fûtes de merci,

Choses qui nous avez aimés

Sur la grève, vêtus ou nus,

Quand de rancœur durs et fermés,

Yeux battants et bouche cousue,

C’était nous silents et muets

Portant nos chagrins, nos regrets,

Et lors, et de tout revenus,

Souvent aigris, parfois mauvais.

Or choses ici de la plage

Avec lesquelles dans le vent

Nous avons vécu en ménage

En ce pays trop de marchands,

Choses qu’on n’achète et ne vend,

Lits tout faits et de sable blanc,

Avec nos bras pour traversin,

Pour bougie, en son temps la lune,

Et pour y boire et dans chacune,

Verres, les creux de nos deux mains ;

Choses aussi mais d’infortune,

Quand, hautes eaux, marée montait

En visites inopportunes

Noire d’embruns déménager

Et porter dans l’ajonc des dunes

Précaire un bien, sien qu’on croyait,

Choses alors, même en la pire,

Choses, ici, qui saviez rire,

Pour amender, pour apaiser,

En nous la colère montée,

Choses alors soyez louées,

Qui riiez pour nous consoler.

 

 

                         II

 

Hôpital ici où l’on va

Quand elle vient, la maladie,

Suivant le temps ou bien la vie ;

Hôpital ici où l’on va

Soigner la plaie en soi qu’on a ;

Lits blancs et jardin de lilas,

Tout est si clair, même les pierres,

Que l’on dirait neige d’hiver

D’hier ou d’aujourd’hui tombée,

Tout est si blanc que l’on dirait

Que c’est pour la communier

Qu’on vient ici porter sa chair.

Mais lit alors où l’on s’étend,

Et dont étonne la mollesse,

Après nuits sur le sable blanc ;

Silence aussi et qui surprend

Du monde tu, et puis caresse

Du duvet moelleux où l’on fond,

Et corridors eux qui s’en vont

De marbre dallés et tacites

Avec des bancs pour ornement,

C’est à paresse qui l’invite,

Douleur ici qui se détend

Et, repos, chair qui se défend.

Or, venues lors diaconesses,

À cheveux qu’on devine blonds

Sous le bandeau roulés en tresses,

Yeux bleus et mains comme caresses,

Sur le mal qu’on a, à doigts longs,

Poser onguents, linges, compresses,

Pansement, douceur qu’on en a

Front que l’on voit penché sur soi

Et voix tendres comme les doigts,

Plaie alors qu’on sent qui s’en va,

Réconfort qui vous fait docile,

Temps qui revient et d’évangile,

Mon Dieu qui nous aviez fait chair

Autrefois pour des jours plus doux,

Mon Dieu c’est nous dans nos misères,

Mon Dieu c’est ici encor nous,

Mais tout blancs et comme agneaux doux,

Et d’avoir souffert, plus en vous.

 

 

                         III

 

Malaises qui nous fûtes bonnes,

Métisses d’Achem, de Java,

Comme nous qui eûtes si froid,

En ce pays gris et d’automne ;

Malaises si loin de vos îles,

Comme nous aussi en exil,

Et qui douces avez tenté

Parfois d’un peu nous consoler ;

Malaises de Multatuli,

Un peu enfants, un peu houris,

Mais de cœur tout et d’âme pleine

Qui les avez pansées, nos peines ;

Malaises toutes de merci,

Grâces vous soient rendues ici

Pour le bleu mis par vous là-bas

Dans nos cœurs en ces jours si las.

Car vous nous fûtes de clarté

Sous ce ciel hostile et fermé.

Malaises qui saviez les charmes

Qui font taire et peines et larmes,

Malaises d’hiver et d’été

Et qui veniez nous visiter,

Malaises qui saviez sourire

Pour nous détendre ou nous guérir,

Malaises bonnes de beauté

Et qui nous eussiez tout donné

Alors que nous étions amers

Pour nous distraire ou nous complaire.

Or douceurs qui vous soient comptées :

Charme tendre de vos paroles,

Parler de vos mains achevé

En sourires si bénévoles ;

Puis musiques inoubliées,

Chants d’oiseaux dans des palmeraies,

Vos voix là-bas loin sur la grève,

Quand soir venu, jour qui s’achève,

Malaises, alors vous chantiez

Pour nous complaire et nous disiez,

En claires robes d’afioume

Au bord de la mer, vos pantoums.

 

 

                         IV

 

Église nue et dissidente,

Morose des Maries absentes

Où parfois nous avons prié,

Quand choses de la vie urgentes,

Tâche faite, heure plus clémente,

Répit nous était accordé ;

Chaire devant des bancs de bois,

Lors, sous la nef, à voix qui monte

Orgue de mélodies parfois,

Église où nous avons prié,

Église où nous avons pleuré

De nous trouver si seuls au monde,

Or temple alors disant ses pierres,

Nous à genoux et cœur ouvert

Pour d’un peu d’amour l’abreuver,

– Église où nous avons prié

Quand nous n’étions pas trop pressés

Par la vie ou l’heure sonnée. –

Lors d’amour mal édulcorée,

Foi d’ici dure et réformée,

Jésus si peu les bras ouverts,

Avec sa couronne d’épines,

Saignant son sang sur la poitrine

Et les yeux tournés vers la mer,

C’est nous qui les suivant jaloux,

Seigneur, lors pensions un peu fous,

Que vous les détourniez de nous,

Oubliant vos mansuétudes

Dans la rancœur, par habitude,

Qu’ici vivre avait mise en nous.

Mais tristesse alors dans la brume,

Qui montait comme feu qui fume,

D’ardeur rentrée à soir tombant,

Bible ouverte, ciel protestant,

Auquel nous trouvions amertume

D’exégèse et renoncement ;

Calvaire ici, et qui s’évoque,

Dans le doute et dans l’équivoque,

Où tantôt homme, tantôt Dieu,

Dans la lettre, trop d’onction,

Moins par amour que par raison,

C’est vous, Seigneur, fermant les yeux ;

Ciel du Nord, comme ici la vie,

Muet et de mélancolie

Où nous ne nous retrouvions plus,

Paradis alors qui s’achève,

Imprécis, tacite et sans rêve,

Faisant de joie la part congrue,

C’est en sa somme décevante

Et vers des fins plutôt latentes,

Vers un bonheur un peu confus,

Église où nous avons prié,

Église où nous avons pleuré,

Ici, comme au monde, perdus.

 

 

                         V

 

Et maintenant temps qui s’achèvent,

Et mer qui monte et qui descend,

Soir qui tombe, matin qui lève,

Apportant la pluie ou le vent,

C’est jours ici subis qu’on porte,

Et consentis, renoncement :

Passé désormais qui n’importe,

Et présent plutôt décevant.

Or leçons brèves, leçons grises

De la vie que l’on a vécue,

Patience, sagesse acquises

De l’amertume qu’on a bue,

Lors oubli qu’on sait qui viendra

Rancœurs et rancunes usées,

Faire poussière sous ses pas

De tant de jours en mois allés,

C’est comme drap qu’on met aux lits

Où sont les morts en long couchés,

Et toutes choses accomplies,

Destin subi, rideau tiré.

 

 

 

Max ELSKAMP.

 

 

 

 

 

 

 

 

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