Le mendiant
Je deviens trop gras, trop pesant
pour éveiller la compassion des gens.
Pourtant, je ne puis pas me changer en sauret ;
d’ailleurs, qui d’autre le pourrait.
Un pharmacien me donne des dragées
au lieu d’argent ; ce sont des dragées pour la graisse
qui, sur mon ventre et mes jambes, s’est amassée
implacable en couches épaisses.
Aucune drogue encor ne m’est venue en aide :
les jeûnes, les suées, les ave, les neuvaines
ne font hélas ! pas fondre, mais durcir ma graisse.
Voyez, Monsieur, tâtez ; conseillez-moi vous-même.
S’il plaît à Dieu, cela va faire trente années
à la Pâque prochaine, que je tends la main
et découvre, honteux, la tête pour mon pain.
Mais qui jamais pourra saisir Ses volontés ?
Willem ELSSCHOT, Poèmes de jadis.
Recueilli dans Anthologie de la poésie néerlandaise
de Belgique (1830-1966),
choix de textes et traduction par Maurice Carême,
Aubier-Montaigne, 1967.
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