L’Athénienne
Elle a de grands yeux noirs, elle est belle et rêveuse ;
Dans ses cheveux qu’effleure une brise amoureuse
Rougit la fleur de Camboja ;
Les heures, en chantant, s’envolent de sa bouche ;
Lorsque dans un ciel bleu le soleil d’or se couche,
Elle soupire et dit : Déjà !
Tant de grâces sans art autour d’elle étincellent,
Qu’on ne découvre pas que sur son cou ruissellent
La nacre et la perle en réseau ;
Dans sa sandale pourpre erre son pied de rose ;
L’autre sur un divan nonchalamment repose
Plié comme une aile d’oiseau.
Sa fenêtre est ouverte ; avec sa voix touchante,
Elle écoute à demi le rossignol qui chante,
Qui chante le réveil du jour ;
On croirait, à la voir oublieuse et charmée,
De parfums et de fleurs mollement embaumée,
Que tout son cœur se fond d’amour.
Plus d’un giaour cuivré, plus d’un cavalier more
Voulut lever son voile, et sous le sycomore
Lui dérober un tendre aveu ;
Le sultan eût pour elle abandonné Bosnie,
Pour elle, l’an dernier, le pacha d’Arménie
Fut tenté d’abjurer son Dieu.
Ce n’est point, voyez-vous, une odalisque impure
Livrant son sein de lait, sa lèvre sans souillure,
Aux baisers d’un profane iman ;
Chassant d’un front ridé le moucheron volage,
Feuille à feuille jonchant des roses du bel âge
La couche du vieil Ottoman.
On dirait, rappelant des souvenirs antiques,
Aux rives d’Eurotas, près des cygnes pudiques,
Une Naïade, sans remords. –
Elle écoute et regarde : un coursier qui s’emporte
Sur le pavé bruyant bondit, puis à sa porte
S’arrête, en blanchissant son mords.
Un guerrier entre : à lui n’appartient pas l’empire ;
Mais il est jeune, beau, chrétien ; né dans l’Épire,
Des fers il a vengé l’affront :
Il n’a point un turban de cachemir pour plaire,
Mais un Turc, un spahis, d’un coup de cimeterre
Lui fit une auréole au front.
Alphonse ESQUIROS.
Paru dans les Annales romantiques en 1835.