Le mal de l’attente
C’en est fait, le nuage a dévoré l’étoile ;
Mon Dieu, ta vérité disparaît sous un voile,
Et la Foi, qui jadis éclairait l’univers,
Flotte, soleil éteint, au sépulcre des airs.
Ô siècle, je frémis lorsque je te contemple :
Plus d’amour dans les cœurs, ni de Dieu dans le temple !
Quelques cultes nouveaux sortent, mais leur clarté
Pâlit dans l’abandon et dans l’obscurité.
Nous avons beau changer l’Olympe et le Calvaire,
Nous avons beau détruire et nous avons beau faire,
J’entends toujours gémir l’humanité ; je vois
L’éternelle douleur sur l’éternelle croix.
Le bûcher s’est éteint avec l’ardeur des cierges ;
Le gril ne brûle plus le sein tremblant des vierges ;
Le tigre n’a plus d’homme à manger ; le bourreau
A remis son vieux fer usé dans le fourreau :
Mais nous avons au flanc une douleur latente,
La soif de l’avenir avec la longue attente ;
Le monde n’est pas fait comme nous voudrions ;
Nous pleurons en dessous, même quand nous rions :
Tout notre cœur s’agite avec inquiétude ;
Nous souffrons du repos, nous souffrons de l’étude,
De ce que nous aimons et que nous n’avons pas ;
Ah ! le mal de l’attente est égal au trépas !
Abrégez, ô Seigneur ! ces mauvais temps d’épreuve,
Faites venir l’époux qu’attend notre âme veuve,
Car, s’il tarde à paraître encore plus d’un jour,
Nous n’aurons plus d’espoir, nous n’aurons plus d’amour !
Alphonse ESQUIROS.
Recueilli dans Souvenirs poétiques
de l’école romantique, 1879.