Imaginaire de liberté
par
Jean ESTÉOULE
Si j’étais libre, je partirais sur la grand-route, sous le soleil et le hâle du vent ; sur la grand-route qui veut faire croire qu’elle se perd à l’orée des grands bois, silencieuse malgré l’intime bavardage des halliers, la grand-route qui continue vers le bout du monde...
Je partirais, seul et nu, avec des yeux neufs pour caresser le monde, pour recommencer...
Je partirais à la rencontre des paysages, à la rencontre des autres hommes, mes frères, comme on partait pour Saint-Michel ou pour Saint-Jacques, en amitié avec la route solide et résonnante sous le pas... et, si mes pieds saignent, qu’importe !
Sur la route qui aime et fait sourdre la sueur, je m’élancerais dans les bras cajoleurs du vent, je me donnerais au baiser du soleil, je livrerais mon torse à la piqûre multiple de la pluie.
Comme un Croisé sur la grand-route de l’amour ; la route blonde jalonnée de calvaires, reposoirs et repères des chemins. Halte !
Il faut s’asseoir ou s’agenouiller pour les mieux voir, alors... Il se détache mieux sur sa promesse, le Crucifié, sur le ciel immense qui, sans Lui, serait désolé !
Si j’étais libre, je connaîtrais, dans les labours, le paysan qui conduit sa charrue et se confesse à son cheval ; dans les pâtures le berger sauvage, un peu fou, qui soliloque dans le langage des étoiles, le berger, pèlerin de la voie lactée.
J’atteindrais au cœur des villages, la place où tintent les voix enfantines, où les cloches bourdonnent..., la place où l’église érige son clocher comme un pistil.
Je serais dans la presse sur le parvis des cathédrales.
J’entrerais sous le grand porche et je dirais :
Loué sois, mon Seigneur, à cause de toutes les tiennes créatures, spécialement messire notre frère soleil qui nous donne le jour et la lumière !
... Loué soyez-vous, mon Seigneur, pour notre sœur la lune et toutes les étoiles...
Jean ESTÉOULE, à l’oflag VID, 4 mars 1942.
Publié dans Cahier des prisonniers, « Les Cahiers du Rhône »,
Éditions de La Baconnière, Pâques 1943.