Tu es des milliers
Les militaires me disaient : « Tu n’es pas un bon chrétien, sinon tu serais riche, tu aurais beaucoup de pouvoir, tu ne vivrais pas de façon austère, en consacrant ton temps à la merde de la société, les ouvriers et les paysans. C’est pourquoi nous allons détruire en toi toute capacité de jouer et de sourire, et tu ne seras plus l’homme que tu es. »
Je n’ai jamais vu le visage de ces gens-là. J’avais une cagoule avec du coton sur les yeux, et j’étais pieds et poings liés, mais derrière ma cagoule je me souviens que je souriais, parce que je me disais : « Pour qui se prennent-ils, ces gens-là ? Ils croient qu’ils vont être plus forts que l’amour ? » Et j’étais sûr quelque part que l’amour allait être plus fort que la haine.
Je priais quelquefois par des hurlements, alors cela les agaçait et ils devenaient très violents. Je sentais la présence... non pas de Dieu mais de Lui à travers les gens que j’aimais beaucoup et qui habitaient mon cœur. Ils me disaient : « Tu es seul. » Mais j’entendais une voix qui me disait : « Tu es des milliers. Tu n’es pas seul. »
Miguel Angel ESTRELLA.
Recueilli dans À l’heure de Dieu,
anthologie de prières vécues
rassemblées par Jean-Claude Thomas,
Stock, 1998.