Moulins et berceaux
Le Moulin en haut, en bas le Berceau,
Et tic tac partout, et farine blonde,
Berceuses sans fin et chansons de l’onde,
Sur le berceau blanc, sous la meule ronde,
Par la mère et par le ruisseau...
À l’aube, tous deux s’éveillent et jasent,
Moulin et berceau ; tous deux ont grand-faim :
Le poupon goulu réclame le sein ;
Les meules, avec le bruit d’un essaim,
Le seigle roux qu’elles écrasent.
Alerte, Meunière ! À ton nourrisson
Donne ton lait pur et mainte caresse ;
Puis cours à la meule, et verse à l’ogresse
Qui dans son cachot bondit en détresse
Le blond trésor de la moisson...
Remonte là-haut voir le poupon rose
Qui suce son pouce et rit, sans savoir,
Parce qu’un rayon est venu le voir
Au fond de son nid, et qu’il veut l’avoir
Captif en sa menotte close.
Puis retourne encore au moulin... Tu dois
Vider le blutoir, emplir la trémie.
Ta progéniture, une heure endormie,
Va te rappeler... Meunière, ma mie,
Fais aller tes pieds et tes doigts...
Enfin le soleil remonte la côte,
Comme le bouvier au pas lent des bœufs ;
Moulin et berceau s’apaisent tous deux ;
Et le ruisseau fuit sous les bois douteux,
Comme un serpent dans l’herbe haute.
Dors aussi, nourrice aux traits amaigris,
Meunière aux jarrets rompus de fatigue.
Pendant ton sommeil la source prodigue
Remplira l’étang jusqu’à fleur de digue
Et ta poitrine aux seins meurtris,
Afin que demain tu verses encore
Le lait au petit, la farine au grand ;
Car au point du jour le tic tac reprend :
Moulin et berceau, berceuse et torrent,
Chantent et peinent dès l’aurore.
François FABIÉ, Autour de la maison.
Recueilli dans Les poèmes du foyer.