Paysanne de guerre

 

 

Héroïque, elle aussi, de cœur haut, de bras ferme,

La veuve paysanne à qui, depuis vingt mois,

Incombent les labours, les marchés, les charrois

Et le gouvernement tout entier de la ferme,

 

Au début on lui prend soudain ses trois garçons

(Et deux sont morts déjà), son valet de charrue

Et son berger... Sa fille, un instant accourue,

Lui laisse ses marmots, et repart sans façons...

 

Et plus un journalier valide en la contrée,

Un chemineau douteux pour garder le troupeau.

Mais la veuve n’a point plié sous le fardeau,

Car plus la tâche est rude et plus elle est sacrée.

 

Repas des gens, repas des bêtes, basse-cour,

La traite des brebis, une heure avant l’aurore,

Le lavoir, les oisons qui vont bientôt éclore,

Et, pour se délasser, semailles et labour.

 

Car elle guide aussi la charrue et la herse,

Ses pieds dans des sabots et ses jupes au vent,

À travers les guérets, – les corbeaux la suivant

Dont le cri de malheur par instant la transperce...

 

Il faut porter le lait au village lointain,

Faire aiguiser le soc et la pioche à la forge,

Aller moudre au moulin perdu dans quelque gorge,

Mettre le bois au four et la pâte au pétrin.

 

 

                                *

                             *    *

 

Elle rentre le soir, à la ferme en détresse

Où tout l’attend, où tout l’appelle, où tout a faim,

Les bêtes de provende, et les marmots de pain ;

Tous, d’une voix connue et d’une âme maîtresse.

 

Jette du grain, fermière ! emplis les râteliers ;

Rends à l’agneau plaintif sa brebis implorante ;

Verse à tes petits-fils la marmite odorante ;

Prie ensuite avec eux pour tes morts familiers :

 

Pour ton mari, parti le premier, avant l’heure,

Pour ceux de tes enfants soldats déjà fauchés,

Sans qu’on puisse savoir où leurs corps sont couchés,

Et pour d’autres encor, qu’aux alentours on pleure ;

 

Et pour que Dieu conserve à tes ans un appui,

Qu’il sauve des périls et bientôt te ramène

Ton dernier-né, dernier espoir de ce domaine

Qui demain tomberait en quenouille sans lui...

 

 

                                *

                             *    *

 

Puis, quand tous dormiront, marmots, vacher, servante,

Toi, veille encor, reprise ou ravaude des bas ;

Réponds à ton petit qui se morfond là-bas,

Dans la neige et la boue, la nuit et l’épouvante.

 

Pleure enfin dans ton lit, jusqu’à ce que tes yeux

Sentent par le sommeil tarir leur source amère,

Et goûte dans un songe un repos éphémère

Qu’abrégera le coq d’un clairon furieux.

 

Car déjà demain luit aux vitres de la ferme :

Debout, fermière ! et lutte ainsi jusqu’à la fin,

Contre le deuil, l’absence, et la terre et la faim,

Dans un combat dont nul ne peut prévoir le terme ;

 

Lutte pour conserver les bois, les champs, les prés,

Le nom et le renom de la maison ancienne

Qui te prit jeune femme, un soir, et te fit sienne,

T’enchaînant à jamais par des liens sacrés !...

 

 

                                *

                             *    *

 

Plus grande que ne fut, certes, la veuve antique,

Plus que les Pénélope en secret ourdissant

Leur vaine toile pour se garder à l’absent,

Nous devons t’admirer, Providence rustique !

 

Aussi, quand nous aurons chassé l’envahisseur

Et que nous fêterons la sainte délivrance,

Je voudrais qu’on te mît, toi, mère, ou veuve, ou sœur,

Au milieu des héros, à la place d’honneur,

 

Gardienne du sol, Paysanne de France !

 

 

François FABIÉ, Fleurs de genêts.

 

 

 

 

 

 

 

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