Montimer

 

 

                                À mon Père.

                                À ma Mère.

                                À mes Sœurs.

 

 

                                        I

 

Montimer est un doux manoir où mes aïeux –

Après la guerre alors, – passaient leurs jours heureux.

Aujourd’hui tout s’y tait ! Aux créneaux des tourelles

Viennent chaque printemps nicher les hirondelles.

D’arbres fruitiers, mon père a fait planter la cour.

À gauche du manoir est une vieille tour.

Vis-à-vis, de grands bois de hêtres et de chênes :

Ces bois vont se mêler à des forêts prochaines.

Le manoir est assis au fond d’un val. Des monts

L’entourent. Çà et là, – mais loin,... quelques maisons.

Sur l’un de ces coteaux, – au-dessus du feuillage,

Des fenêtres, – on voit l’église du village.

Sur l’autre, séparé par les murs des jardins :

Des tilleuls, des champs verts, et des forêts de pins.

C’est là, qu’on m’éleva. – C’est là, dans les bruyères,

Qu’autrefois, je faisais mes jardins solitaires ;

C’est là, sous ces berceaux, sous ces tilleuls en fleurs,

Qu’autrefois je jouais le soir avec mes sœurs.

Là, – nous avons pleuré longtemps, je me rappelle ; –

Là, c’était mon réduit à l’ombre, ma tonnelle.

Ici, j’avais planté des lilas, un noyer,...

Là, ma mère, venait s’asseoir et travailler...

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                                        II

 

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Le soir, dans le salon, on allumait du feu.

Notre père lisait, ma mère causait peu.

Nous nous taisions. Non loin de nous, notre grand’mère

Sans parler,... travaillait, avec son air sévère !...

À dix heures chacun de nous se retirait.

Hors le curé, le soir, personne ne venait.

Ma mère qui souffrait s’était accoutumée

À cette solitude et l’avait même aimée.

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Que Montimer était joli quand le printemps

Venait au mois de mai fleurir les lilas blancs !

Quand les feuilles, les fleurs partout étaient écloses ;

Quand les vents secouaient les grands acacias roses ;

Quand les tilleuls jetaient leur doux embaumement :...

Quelle joie en mon cœur, et quel enivrement !

Partout l’odeur des blés, des forêts,... leur murmure !...

Que c’est beau le printemps ! que c’est beau la nature !

Sous les arbres, à l’ombre, alors je me couchais,...

Et je restais ainsi des heures... Je songeais !

 

 

                                        III

 

Mon père s’étonnait. – Je ne voulais rien faire,

J’étais toujours tout seul, ou bien avec ma mère.

De me gronder en vain, mon maître se lassait.

Il se plaignait. – Mon père alors me punissait.

J’avais beau supplier, pleurer, demander grâce,

Promettre que demain je ferais mieux ma classe ;

Mon père m’enfermait dans une vieille tour,

El je restais ainsi prisonnier tout le jour.

Quand j’avais bien pleuré... je songeais... Ma pensée

Allait ailleurs. Ma peine était alors passée.

Ah ! comme ils étaient beaux de ma tour, mes grands bois !

Qu’ils plaignaient sous le vent avec de douces voix !

Comme j’aimais ces vols et ces cris d’hirondelles !...

Ah ! si j’avais été créé libre comme elles !...

Et puis je jetais là mes livres de latin,

Et mon cœur se perdait dans des rêves sans fin.

 

 

                                        IV

 

Ah ! pourquoi le bon Dieu met-il au fond du cœur

Tant de peine souvent, près de tant de bonheur !

Si tout était amour, beauté, printemps sur terre,

Ailleurs tout était triste ! hélas ! ma pauvre mère

Depuis longtemps déjà souffrait d’un mal cruel,

– Mal – dont on ne guérit, hélas ! que dans le ciel ! –

Pourtant, ma mère était bien bonne, patiente,

Mais depuis si longtemps, elle était si souffrante !

Tout bruit la fatiguait. – Nos voix d’enfants, nos jeux ;

Il fallait tout le jour rester silencieux.

Mes deux sœurs se mettaient alors à la fenêtre

Et brodaient. Je montais tout triste avec mon maître.

Nous faisions jusqu’au soir la classe de latin.

Mon père, tout ce temps, s’en allait au jardin.

Mon devoir terminé j’accourais vers ma mère,

Et nous nous embrassions bien longtemps d’ordinaire

Hors, quand elle était mal, plus mal, – je m’asseyais

Tout près d’elle, sans bruit, triste, et la regardais.

Quand elle était bien mal, – souvenance cruelle,

Elle me voulait seul, près de son lit, près d’elle.

Puis, me voyant tout triste, et des pleurs dans les yeux,

Elle me disait : Va, va jouer, je suis mieux.

 

 

                                        V

 

Que de fois, – que de fois, – j’ai vu ma pauvre mère

Se raidir, tout en pleurs, dans les bras de mon père.

J’entends encor d’ici son sanglot déchirant,

Quand elle s’affaissait sur elle, en se tordant !...

Je la revois après cette lutte fatale

À peine respirant... dans son lit... toute pâle !...

Puis, me voyant pleurer, entre ses doigts tremblants

Elle prenait ma tête et me baisait longtemps...

Ma mère partageait son temps : – la piété,

D’abord, – son Dieu, son âme, et puis la charité.

Pour l’aumône toujours, elle avait la main pleine.

Chacun venait chercher son don, chaque semaine.

Malade, dans son lit, et tout près de la mort,

À coudre pour le pauvre elle essayait encor.

Sainte, pleurée, aimée, elle quitta la terre :

C’était leur mère à tous, comme c’était ma mère.

Ô laissons ! oui laissons ces souvenirs pieux

Témoins des jours passés me revenir des cieux !

Il me semble la voir en son lit blanc assise,

Aux heures du soir, lire en son livre d’église

Ces pages de conseil et de dévotion

Où tout cœur vient trouver sa consolation ;

Où chaque mot nous dit comment souffrir et vivre !...

Et puis, je la voyais qui refermait le livre ;

Puis, ayant médité la parole du ciel,

Continuait ses fleurs et ses nappes d’autel.

 

 

                                        VI

 

En ce temps-là, souvent, j’entendais dans les bois,

Dans l’air tiède du jour, comme chanter des voix.

Elles semblaient venir des bois, des fleurs, des sèves...

Elles semblaient tomber du royaume des rêves...

Et mes sens endormis lentement s’éveillaient...

Tressaillaient un moment, puis, ravis, écoutaient.

L’enfant aspire tout ; – mais ne pressent encore

En ces vagues besoins qu’un bonheur qu’il ignore.

Il ne sait ce qu’il veut : – il écoute, il attend,

Et toute joie en lui n’est qu’un pressentiment.

Puis, je vis que ces voix n’étaient point de la terre,

Qu’elles venaient d’en haut, d’un séjour de lumière

Que me montrait ouvert l’éclair de vision ;

Et que c’étaient les voix de la création.

Et les voix dans les bois, les voix chantaient encore ;

Et j’entendis alors, un mot d’amour : – Adore !

 

 

                                        VII

 

Adore ! – Mot sans fin, – murmure universel

Que Dieu laissa tomber de la langue du ciel.

Quand au soir, l’orient s’était couvert de voiles,

C’était la main de Dieu qui semait les étoiles.

Quand le printemps venait, – c’était encore Dieu

Qui réchauffait le jour sous son souffle de feu.

C’était lui qui, glissant dans la sève des plantes,

Faisait les bois verdis et les forêts chantantes.

C’était Dieu dans le ciel et sur la terre, en tout !

C’était Dieu dans mon cœur, et c’était Dieu partout.

 

 

                                        VIII

 

Alors, on essaya dans mon âme blessée,

– On ne le pouvait plus, – de tuer ma pensée.

On craignait, je le sais, je ne leur en veux pas,

Le malheur attaché sur qui pense ici-bas.

On savait, – ou plutôt, on avait pour morale –

Que la voie où descend la pensée est fatale.

On disait,... et c’est vrai, qu’en nos malheureux temps

On ne recueille rien que le malheur des chants ;

Mais on ne savait pas combien la poésie

Peut dans un cœur d’enfant déjà jeter de vie.

Il s’échappe de tout un sens mystérieux,

Tout dans votre pensée est vivant, radieux ;

Tout vous parle, vous chante une langue inconnue

De la terre, du ciel, je ne sais d’où venue.

On n’entend pas encor ce bruit triste et lointain ;

Bruit de joie et de pleurs ! que fait le genre humain.

On n’entend pas au fond des âmes ce murmure :

Joie et douleur aussi ! – l’on entend la nature !

La nature, les cieux, les monts, les bois, les eaux,

Chants toujours répétés et chants toujours nouveaux.

On entend les chansons des pâtres des campagnes ;

On entend les vallons qui parlent aux montagnes ;

On entend les blés verts et les grands bois mouvants

Dire je ne sais quoi quand les courbent les vents.

Jusque dans l’air on sent, – dans l’air qui vous enivre, –

Quelque chose chanter, – et quelque chose vivre.

Ah ! devrai-je dire, – hélas ! un jour viendra

Où ce concert divin dans mon cœur se taira,...

La voix de la nature infinie et profonde,

La voix du ciel, des bois... – où j’entendrai le monde.

 

 

                                        IX

 

Le monde ! un jour viendra, peut-être, où le rêveur

Pourra le dépasser du front comme du cœur.

Comment ! je soufflerais le flambeau de lumière ?

Et je pourrais mentir ! et je pourrais me taire...

Jamais. – Quand je verrai passer sur mon chemin

Le malheur, – quel qu’il soit, je lui tendrai la main.

Quand je verrai le bien hué, couvert d’outrage,

Malgré ceux qui riront, je lui crierai : courage !

Quand je verrai passer la vertu, je viendrai

À sa rencontre, fier, et je la saluerai !

Oui, – devrai-je en mourir de douleur, de misère,

Une voix s’entendra libre encor sur la terre.

D’abord on en rira, – puis d’autres me suivront,

Puis d’autres,... nos sentiers, poètes, grandiront.

 

 

                                        X

 

Pourquoi méprise-t-on le poète ? C’est peu

– Nous dit-on, – ce rayon du beau qui vient de Dieu !

On voudrait, on voudrait sans cesse, à l’industrie,

Aux commerces de l’homme atteler le génie ;

On ne calcule pas que sous le pied humain,

Dieu mesure l’espace, et seul, met le chemin.

On ne calcule pas, – on le devrait, peut-être, –

Que nous obéissons, – que Dieu seul est le maître ;

Que les sentiers où vont les hommes, ici-bas,

Ne sont point faits pareils, et ne se suivent pas ;

Que la main qui soutient l’éternelle harmonie

A partagé son œuvre à chacun dans la vie ;

Que depuis le berger, l’esclave, jusqu’au roi,

Chacun en son labeur obéit à sa loi.

N’importe ce qu’il soit, n’importe ce qu’il fasse,

L’homme, dans son travail, devant Dieu trouve grâce.

Et puis, si Dieu ne m’eut écarté du chemin,

Chemin d’orgueil, de bruit que suit le genre humain,

Aurai-je pu braver ces luttes, ces tempêtes

Qui passent sur la vie et courbent les poètes ?

Emporté dans l’amour commun, universel,

Aurai-je pu n’aimer que les chants et le ciel ?

Attiré par le monde à sa vie, à ses charmes,

Aurai-je rejeté son bonheur pour mes larmes ?...

Quand je souffre aujourd’hui, je relève mon cœur...

L’homme pour s’agrandir a besoin de douleur.

 

 

                                        XI

 

Avez-vous vu les fleurs des champs après l’orage :

Ah ! le vent ne peut plus les briser davantage !

Elles vont donc mourir ! – Non, – un doux vent renaît,

Un rayon de soleil dans le ciel apparaît ;...

Et, chaque fleur vers lui doucement se relève,

Et l’homme ne voit pas ces fleurs ?... où va son rêve !

Ah ! si l’homme cherchait, – après toute douleur, –

Peut-être, il trouverait ce rayon dans son cœur.

Avez-vous remarqué les oiseaux, l’alouette ? –

Elle fait son doux nid dans les blés verts, seulette.

Mais un enfant l’a vue, et vient voler le nid :

Elle cherche un moment... – Ah ! son chant est fini !

Vous croyez ?... Tout à coup, au ciel elle s’élance

Tant qu’elle peut monter !... et son chant recommence.

L’alouette des blés ne nous dit-elle pas :

Que Dieu console tout ce qui souffre ici-bas.

 

 

                                        XII

 

J’ai vécu, j’ai vidé ma coupe de souffrance,

Le malheur ne m’a point laissé sa défaillance.

J’ai vu l’adversité sur mon chemin venir :

Tout mon cœur s’est ouvert aux maux de l’avenir.

Me voilà : qu’ai-je fait ? – tout ce que j’ai pu faire.

Que Dieu me tienne encor le flambeau qui m’éclaire,

Et je saurai trouver dans mon ciel de douleur

Une vertu plus grande encor que mon malheur.

 

 

 

Henry de FARÉMONT, Montimer, 1862.

 

 

 

 

 

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