Sans doute il serait doux...

 

 

 

Sans doute il serait doux de croiser les deux bras,

Là-bas, dans le silence, au-dessus de la foule,

Sous quelque tertre vert au frais gazon qu’on foule,

Loin de tout ce qui crie et grimace ici-bas,

Et loin de la cohue aux furieux ébats

Qui sans cesse se forme et sans cesse s’écoule ;

 

Sans doute il serait doux, dans la tranquillité

Si calme du tombeau, sous la pâle ramure

Des saules éplorés, d’accrocher son armure,

Comme après un combat avec sérénité,

Et grave, souriant devant l’Éternité,

De dormir sous le ciel, dans le vent qui murmure ;

 

D’oublier à jamais les hontes, les douleurs,

La vaine ambition, les luttes incessantes,

Et les déceptions sans cesse renaissantes ;

D’être seul et tranquille à regarder les fleurs

Épanouir là-haut leurs si fraîches couleurs

Dans le silence ému des aubes blanchissantes.

 

Ainsi qu’un voyageur qui touche enfin le port

Après avoir été le jouet des orages,

Après avoir subi les deuils et les outrages,

Sans doute il serait doux de trouver dans la mort

L’asile souhaité contre les coups du sort,

Et le calme, et l’oubli des décevants mirages.

 

Cependant, nul ne peut déserter lâchement ;

Chacun doit ici-bas, fût-il dans la souffrance,

Fût-il abandonné, fût-il sans espérance,

Conserver jusqu’au but le saint acharnement ;

Nul ne peut sans forfaire avancer le moment

Où sonnera pour lui l’heure de délivrance.

 

Marchons donc sans jamais nous sentir ébranlés,

Sans jamais renoncer à la lutte acharnée ;

Marchons, calmes et forts devant la destinée :

Et quand, à notre tour, nous serons appelés,

Nous nous endormirons sous les cieux constellés...

Et ce sera la fin de la rude journée !

 

 

 

Léon FÉLIX.

 

Paru dans Poésie, 11e volume

de l’Académie des muses santones, 1888.

 

 

 

 

 

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