Je ne puis plus...
Je ne puis plus me dépeindre moi-même,
Je ne sais plus ce que devient mon cœur :
Ce que je hais, en un moment je l’aime :
En moi tout passe, excepté ma langueur.
Je ne vois plus chemin, sentier, ni trace,
Vois-je un sommet de rochers escarpé,
Tout aussitôt, c’est par là que je passe,
Prêt à tomber du roc où j’ai grimpé.
Amour, amour, que veux-tu que je fasse ?
Je ne sais plus ce que tu fais en moi ;
Ce qui s’imprime en un moment s’efface :
Tu m’ôtes tout jusqu’à ta propre loi.
Tu veux régner, amour, et tu te caches ;
Sans t’expliquer, tu demandes toujours.
Amour cruel, tu crains que je ne sache
De tes chemins réglés suivre le cours.
C’est peu pour toi que n’avoir plus de vie
Et qu’abîmer ce Moi jadis si cher ;
Il faut encore craindre ta jalousie
Suivre à l’aveugle et n’oser te chercher.
Eh bien ! c’est fait : je ne sais plus si j’aime,
Je ne veux plus songer à le savoir.
Dieu dans mon cœur s’aimera seul lui-même :
Il fera tout sans me le laisser voir.
FÉNELON, Poésies.
Recueilli dans La poésie mystique,
Jean Mambrino, Seghers, 1973.