À l’aventure

 

 

 

                      En rentrant de la course qu’on va lire,

 

                                                           ...Quo via ducit...

 

 

À ses sentiers chéris un beau jour dire adieu ;

Plonger dans les détours de routes inconnues,

Et, semblable à l’oiseau qui suit le vol des nues,

Aller, sans savoir où, se confiant à Dieu ;

 

Marcher, marcher toujours ; passer ville et village ;

Battre monts et ravins, prés verts, champs ou forêts,

Et, ne songeant à rien qu’au ciel pur, à l’air frais,

Laisser derrière soi le souci du voyage ;

 

Sûr que celui qui veille à des mondes sans fin

Saura bien ramener ses enfants dans leur voie,

Lui qui prête un brin d’herbe au ciron qui se noie,

Et dirige l’abeille au retour du butin ;

 

Et puis, barque sans voile ou marin sans boussole,

Se trouver à la fin si loin et si perdu,

Qu’on se demande : Où suis-je ? et que le jour s’envole,

Et que la nuit descend grise, et que, l’œil tendu,

 

On explore, inquiet, la route qu’on a faite ;

Et que, route ou sentier, tout vous semble nouveau,

Sans traces de vos pas, sans signes, et qu’il faut,

Pour se donner un guide, en haut lever la tête,

 

Et chercher par le ciel l’étoile qu’on connaît ;

Qu’on en rencontre une autre à sa place incertaine,

Et qu’il faut parcourir fossés, marais, ou plaine,

Pour trouver quelque fil au dédale où l’on est ;

 

Qu’ensuite on se décide, et, malgré l’heure obscure,

Qu’à travers la nuit calme on chemine gaîment,

Tantôt perdant le ciel sous l’orme qui murmure,

Baigné d’un filet d’eau, clair comme un diamant ;

 

Tantôt jusqu’aux genoux dans l’herbe et la rosée ;

Ou sous des bouquets noirs d’arbres vieux et touffus,

Dont le silence entier, ou quelque bruit confus

Vient surprendre votre âme, à la terreur aisée,

 

Empêchant votre haleine et hâtant votre pas ;

Et qu’on marche tous deux se serrant davantage,

Enlaçant fortement ensemble ses deux bras,

Jusqu’à ce qu’on atteigne enfin quelque rivage,

 

Quelque onde bien tranquille et qui porte la paix,

Vous rendant tout honteux d’une peur si commune,

Onde aux larmes d’argent qui fait trembler la lune,

Exhalant la fraîcheur de ses mouvants reflets ;

 

Et, là, sentir les mots de quelque saint langage

Comme un flot de parfums se détacher du cœur,

Accent qui porte au ciel son poétique hommage,

Et su de l’âme seule aux instants du bonheur ;

 

Et se trouver si bien, qu’on est heureux de vivre,

Qu’on ne sait plus si l’heure enfante encor l’ennui,

Et que chacun, goûtant les plaisirs qu’il nous livre,

Demanderait à Dieu si l’on est mieux vers lui ;

 

Enfin quitter ces bords ; voir au loin apparaître

Un point qui lentement grossit malgré la nuit,

Percevoir un rayon de lumière et de bruit,

Voir ce bloc s’animer et bientôt reconnaître

 

Les dômes et les tours dressés sur l’horizon ;

Y démêler sa ville et, comme l’hirondelle

Qui, regagnant son nid, y vole à tire-d’aile,

Courir, les bras tendus, au toit de sa maison :

 

Recevoir en rentrant le baiser de sa mère,

Le donner à ses sœurs, accoler son ami,

Fêter le chien joyeux qui saute et court parmi

Ces êtres bons et chers qui font aimer la terre ;

 

Poser, si l’on en a, son bâton dans son coin,

Leur faire un court récit de sa longue journée,

Et, souhaitant pour tous une nuit fortunée,

De son repos à Dieu remettre tout le soin ;

 

Puis, quand on est couché, courir encore en rêve,

Revoir les mêmes lieux, les revoir embellis...

N’est-ce pas là, dis-moi ?... Tiens, ces vers que j’achève,

Tout plein de ce bonheur, je te les donne ; lis !

 

 

 

F. FERTIAULT.

 

Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.

 

 

 

 

 

 

 

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