Le crucifié
(À M. Émile Chénon.)
Sui autem non receperunt.
(Jean, I, 11)
Longtemps, Il a marché penchant Sa tête blonde...
Pourtant, le feu vivant des prunelles profondes
N’est pas encore éteint, mais des gouttes de sang
Perlent à Son front pâle.
Il a marché, courbant
Son corps brisé sous la Croix lourde qui l’écrase
Et tous L’ont regardé comme dans une extase.
Et Sa couronne noire était comme un bandeau
Et les petits enfants qu’il bénit au berceau
Baisaient Ses pieds lassés qui saignaient sur les roches,
Et les femmes, pleurant, venaient à Son approche
Toucher les plis souillés de Son vêtement obscur
Mais pas un ne sentait au fond de son cœur dur
S’éveiller un regret.
Les soldats de Pilate
Marchaient silencieux et repoussaient sans hâte
Le peuple de Judée accouru pour meurtrir
Celui qu’on insultait lorsqu’il allait mourir....
Il défaillit trois fois en gravissant la côte,
Car la croix était lourde et la montagne haute
Et les pierres sur Son front nu tombaient parfois.
Ô Christ ! Vous aviez dit : Aimez-vous. Votre voix
A chanté dans nos cœurs comme un divin cantique,
Vous avez étendu Votre main prophétique
Et Lazare est sorti du sépulchre des morts,
... Et la foule était là !
Maintenant, sans remords,
Elle a vu Votre front saigner sous les épines.
Tous ceux qui Vous suivaient jadis sur la colline,
Lavant vos pieds sacrés et baisant avec feu
La poussière où se sont marqués les pas d’un Dieu
Ne se souviennent plus des antiques miracles....
Le Traître Vous a vu partir loin du cénacle –
Pour gravir la montagne en portant une croix –
Et Vous tombiez, mais Vous priiez encor. Le bois
A blessé votre chair.
Or, doux comme une aumône,
Une dernière fois, Votre geste pardonne
Tandis que Vos yeux bleus ont vu sous le ciel noir
Le Golgotha debout dans les bruines du soir...
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Le ciel silencieux est voilé de nuages ;
Il est là, sur Sa Croix, l’Enfant-Roi que les Mages
Adorèrent jadis dans l’Étable où pleuvait
La nuit d’hiver sur la paille froide.
Il avait
Des yeux clairs et profonds et sa lèvre était rose ;
Maintenant, Ses yeux sont fermés, Sa lèvre est close,
Rien ne palpite plus dans l’ombre d’Israël
Et le centurion a fait couler le fiel
Sur la cruelle soif qui dévorait Sa bouche.
Il se fait.
Mais voilà que la terre farouche
A frémi, les éclairs en un fracas immense
Ont déchiré le ciel où l’ombre se condense.
Le sol de Galilée entend, comme un remords,
Gronder son sein lugubre où tressaillent des morts
Et l’ange a déchiré le Grand Voile du Temple.
Le peuple, épouvanté s’agenouille et contemple :
Dans la clarté pâlie où le soir agonise,
La Grande Vision de l’Éternelle Église
Frissonne comme un songe immense qui s’étend
Tandis que les yeux clos, le corps raide, le flanc
Percé d’un coup de lance, Il se tient immobile :
Sa chair saigne, Son front est tourné vers la ville
Et Ses bras sont ouverts comme pour appeler
Les souffrants, les vaincus qu’il voudrait consoler...
Et doucement Il prie encor...
La nuit livide
Sur les champs désertés étend son aile humide
Et tremblante, Marie est auprès de la Croix
Et Magdeleine pleure et Jean, comme autrefois,
Baise les pieds divins que les clous ont percés
Et qui saignent toujours.
Mais ceux qu’Il a sauvés
Ont peur ; un long frisson a couru sur le monde
Une voix a parlé dans la brume profonde
Et quand le Dieu d’Amour, mort pour les racheter,
Descendait aux Enfers afin de délivrer
Ceux qui devaient souffrir jusques à Sa venue,
Parmi les flammes d’or qui courait sur la nue,
Tous ont senti, ce soir, briller dans le ciel bleu
Le reflet de la Croix où s’endormait un Dieu !
Paul G. FEUILLETTE, L’ombre des cathédrales, 1908.
Paru dans Le Parler français, bulletin de la Société
du Parler français au Canada, en février 1908.