Gratitude dans l’Éden
Le ciel est si touffu, aujourd’hui, de soleil,
Il est une forêt si bleue
Sur la verte forêt,
Qu’elle m’éblouit et que par ses sentiers
Je m’en vais m’égarant.
Je me sens avec toi, par delà l’océan :
Dans une île qui est la tienne.
Nous sommes libres et jeunes en un royaume
Que tout autour limite la tiède rencontre
Des effluves marins avec les arômes
D’épices voluptueuses.
Libres : soumis, pour toute loi, au sort
De jeunes éléments qui nous sont favorables,
Et quand de colère se gonfle
La trombe destructrice du cyclone,
À terre, abattus, pâles, nous nous demandons
Quelle faute a bien pu les offenser.
Mais nous sommes aujourd’hui éveillés
Par un matin qui nous regarde
Avec de doux yeux de gazelle.
Il nous voit, enlacés, parcourant cet éden
Comme un prolongement de rêve,
Si nombreuses sont ici les merveilles
Qui semblent suspendues
À des branches de songe.
Ah ! la jeune faim qui s’éveille en nous
Avide, et qui voudrait secouer chaque branche
Pour le festin !
Sage, sur l’arbre, le pain nous attend,
La banane, pour nous, condense une douceur
Qui rassasie,
Pour notre soif travaille le tamarinier,
Pour nous le cocotier élabore son lait.
Mais mon désir va vers la sapotille,
Vers cet or rose qui fond dans la bouche
Imitant la couleur, la saveur de tes joues.
Ah ! tout est fable ici ! tout, ici, a poussé
Non pas à la sueur de l’homme
Mais bien comme une pure offrande.
Alors, je sens pour la première fois
Le don d’une main sur nous étendue.
Le geste en moi s’ébauche
De ployer le genou, de rendre grâces.
Ce que les livres jamais ne surent me dire,
Tout pesants de savoir,
Ce que jamais ne me purent éclairer
Les villes, aveuglées de clartés,
Ce que pas même, en moi, ne fit chanter
Le chant de cloches dans le crépuscule,
Tout cela je l’entends, enfin, ici.
Et voici que je peux
Léger comme le sang des feuilles
Qu’on mire à contre-jour par un soleil de mars,
Libérée la chair de toute pesanteur,
Devenue même, par ces chers liens,
Source d’une ineffable gratitude,
Je peux sereinement m’élancer jusqu’à Dieu.
Lionello FIUMI.
Traduit par Guy Tosi.
Recueilli dans Lionello Fiumi,
par Roger Clerici,
Seghers, 1962.