Portraits d’aïeux

 

 

Portraits d’aïeux, combien, dans votre

Froide fixité qui semble nous juger

Et qui nous intimide, combien

Vous me semblez étrangers à notre monde,

Ce monde en folie,

Vous qui viviez en un monde au rythme calme,

Égal comme le souffle d’un sein plongé

Dans le sommeil du juste !

 

Vous êtes partis en silence, un jour,

Sans faire claquer la porte, et derrière vous

Vous laissiez un sillage de larmes...

Où sont-elles, maintenant, ces larmes ?

Évaporées comme l’eau d’une coupe

Sous un midi d’été.

 

Et vous, mes ancêtres, où alliez-vous ?

Ne le savait aucun des survivants.

Vous-mêmes ne le saviez. Je n’arrive pas, moi, fils

D’un âge orgueilleux,

À le savoir ! Je serais prompt, certes, à vous faire signe

Pour vous appeler à ma table

Familièrement : pain, vin, tous les biens

De la terre qui précisément fut la vôtre.

 

Le jeu plaisant que ce serait de vous étonner

Comme on étonnerait les indigènes d’une forêt vierge,

Grâce à cette lumière

Qui jaillit d’un bouton, à la musique

Qui s’échappe étrangement d’une caissette,

Grâce à tant de choses encore.

 

Ô vous que je n’ai pas connus ! Vous offrir tout

Ce dont je me sens votre débiteur.

Si j’existe aujourd’hui sous le soleil, à qui

Le dois-je donc, si ce n’est à vous, à la vie

Qui fut la vôtre avant que vous soyez ténèbres ?

Ce trait qui m’appartient, la nuance

De mes yeux, ce défaut que j’ai, ce furent les vôtres.

Je vois, j’ai compris.

 

Comment me sont-ils venus ? J’ai beau me pencher

Sur la route cachée que votre sang

Suivit, comme en ses aventures secrètes

Un fleuve souterrain, avant de m’atteindre.

Je ne trouve pas. Je ne trouve rien. Prodige d’une voie

Qui est solennel mystère.

 

                          Mystère pareil à celui

De la semence menue qui devient

Un arbre gigantesque ;

Pareil à celui des astres

Qui suivent dans le firmament leur cours régulier.

L’esprit s’égare devant cet abîme

D’inconnu. Humble, je courbe le front

Sur un mince fil d’herbe et je n’arrive,

Anxieux, qu’à balbutier un nom : Dieu.

 

 

 

Lionello FIUMI.

 

Traduit par Henri Bédarida.

 

Recueilli dans Lionello Fiumi,

par Roger Clerici,

Seghers, 1962.

 

 

 

 

 

 

 

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