La mer
Quand donc cesseras-tu ta plainte lamentable,
Ô mer ? Quand je te vois t’élancer sur le sable,
Quand j’entends tes sanglots,
Je ne sais si vraiment chacune de tes lames
Ne sert pas de prison à d’innombrables âmes
Qui pleurent dans tes flots.
Je connais tes secrets, ô belle douloureuse !
Ce n’est pas sans raison que ta voix orageuse
À des accents de deuil !
Aujourd’hui le voilà sereine et transparente ;
Demain, tu draperas ta robe scintillante
Pour voiler un écueil.
Que tu nous as causé de mortelles alarmes !
Si ton flot est amer, c’est qu’il a bu nos larmes.
Sur tes bords enchantés,
Je pense, en regardant la vague qui déferle,
Qu’elle roule à la fois le cadavre et la perle
En ses plis argentés.
Et cependant, ô mer, je t’aime et je t’admire ;
Tu soupires toujours, mais l’homme aussi soupire,
Et jamais de ta voix
On ne peut oublier l’émotion profonde ;
On dirait qu’elle sort des entrailles du monde
Pour s’écrier : « Je crois ! »
Et l’on a déclaré la nature muette !
Qu’est-ce donc que ce cri sublime qu’elle jette ?
Qu’est l’hymne solennel
Que chantent nuit et jour la mer et l’air sonore,
Qui semblent s’élancer vers l’Être qu’on adore,
Le seul Être éternel ?
Oh ! parle-nous de lui, fier Océan sauvage.
C’est son nom qu’en grondant tu lances au rivage.
L’homme, qui t’a dompté,
Veut chasser de son cœur tous les jours plus avide
La foi, l’astre sauveur, l’étoile qui le guide
Vers l’immortalité.
L’éternité, la mort, cette heure redoutable,
Est jetée en pâture au bonheur périssable.
Enivré de ses dons,
Cet atome puissant, que tente l’impossible,
Veut parfois effacer un nom saint et terrible
De tes grands horizons.
Il se consume en vain dans ces luttes ardentes ;
Le nom divin s’écrit en lettres flamboyantes
Sur la mer et les cieux ;
Dans ses nuits sans repos, sous son toit solitaire,
Le souffrant le murmure, et fait une prière
Du nom mystérieux.
Sur le monde je vois flotter l’ombre adorable
De l’Ouvrier divin ; de son œuvre admirable
Je ne l’ai pas banni ;
Elle passe sur toi, mer immense et limpide,
Et tu nous apparais comme un miroir splendide
Où se peint l’infini.
Le Père te créa, le Verbe sur ton onde
A marché, dans ces jours où, pour sauver le monde,
Il daigna s’incarner,
Et, comme aux temps décrits dans un livre sublime,
Sur ton sein agité, vaste et profond abîme,
L’Esprit semble planer.
Zénaïde FLEURIOT.
Paru dans La Semaine des Familles en 1875.