Francis Jammes

 

 

Francis Jammes, c’est le poète bien-aimé,

parce qu’il est plus doux que l’eau de la fontaine,

et qu’il est la chanson des choses, au mois de mai,

dans l’allégresse lumineuse de la plaine.

 

Francis Jammes n’est point l’orfèvre de Paris

qui cisèle de fins bijoux, que les « saphiques »

se feront acheter très cher par leurs maris

pour montrer que leurs goûts sont des plus artistiques.

Il remplit son devoir de modeste ouvrier

en taillant dans le buis, et d’une humeur égale,

les grains d’un chapelet où chacun peut prier.

Tel meurt, de tailler l’air, le cri d’une cigale,

ou mourra sous le bât l’âne du vieux meunier.

 

Vous entendrez souvent Jammes parler des Antilles.

Il n’est pas né là-bas, mais son grand-père y fut ;

et du passé lointain viennent sur des flottilles

des colibris de rêve et de beaux fruits joufflus

jusqu’à Orthez, où vit aujourd’hui le poète.

 

Il fut clerc de notaire ; et la rapacité

des gens, qu’à peine égale celle du gypaète,

il l’a, dans son roman Existences, notée.

Et voyez comme il mêle les réalités

aux limpides candeurs, à la grâce ingénue !

Nul comme lui n’a montré son âme toute nue.

Il vit entre sa mère et Dieu, comme un enfant,

mais un enfant terrible, parfois, et Protée

change moins aisément de visage que lui :

Il fait verser des pleurs quand il dit l’aventure

de Clara d’Ellébeuse. Ô blancheur !... Et voici

qu’ailleurs il lâche des mots tout à fait « nature »

et raconte comme on attrape la syphilis...

Ce qui nous semble une souillure sur un lys

ne saurait assombrir son âme délicieuse.

Oh ! poète qui voit en tout l’œuvre de Dieu

et le Triomphe de la Vie ! Oh ! précieuse

franchise qui permet de ne fermer les yeux

sur rien, et de « chasser de son cœur les scrupules

littéraires et autres », pour « être » simplement !

Il dit les cinq fameuses lettres aux crapules

en haussant les épaules d’un air indifférent,

et jamais, fut-ce par politesse, il ne ment.

Oh ! l’intime béatitude : être sincère !

Y a-t-il un plus grand bonheur sur la terre ?

C’est vrai qu’on n’a jamais le sou dans son gousset...

Moi qui vous parle... Eh bien ! oui... je sais ce que c’est...

Mais quand on se promène – n’est-ce pas, mon vieux Jammes ?

aux champs, on s’entretient avec des milliers d’âmes ;

on n’est pas, comme eux tous, un étranger parmi

les lièvres, les oiseaux, la guêpe et la fourmi ;

on sait que si elles ne parlent pas, les pierres,

elles n’en sont pas moins frémissantes de Dieu

et que, si l’on pouvait soulever leurs paupières,

leur regard publierait la louange des cieux.

 

Jammes a fait comme les pierres et les feuilles,

les cailles, les grillons, les chiens, les écureuils :

il a vécu pour être quelque chose comme

le naturel épanouissement d’un Te Deum.

Et c’est un peu pourquoi Jammes est catholique,

et qu’il écrit avec piété ses Géorgiques.

Prêtre ou poète, il est le bon pasteur du Christ,

et ses ouailles, il les conduit à l’improviste

vers l’Église habillée de feuilles, vrai ciboire

de rosée où, joyeux, les oiseaux viennent boire

De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir.

Et puisque, dans les champs, c’est tout partout la messe,

puisque c’est l’offertoire et la communion,

pourquoi l’homme ne tiendrait-il pas la promesse

que tout l’univers semble avoir faite en son nom

de s’unir en esprit, et même en vérité,

au rythme harmonieux de la divinité ?...

 

Va, Jammes, dis tes chants comme on dit des Prières,

persiste à découvrir « dans le ciel » des « clairières »,

et ta gloire sera d’avoir vaincu l’orgueil.

 

Pour moi, je me souviens qu’un jour tu fis accueil

à l’un de mes amis de collège, un poète,

– il s’appelle René-Mary Clerfeyt de Croix, –

et qu’il traça, quand il revint, ta silhouette,

et qu’il nous lut tes vers, et qu’ensuite, je crois,

j’eus la sensation d’être un peu plus poète.

 

Eh bien ! voilà : je te remercie, Francis Jammes,

car j’aime encor mieux ça que les joies qu’« ils » proclament.

 

 

 

FLORIAN-PARMENTIER.

 

Recueilli dans Toutes les lyres,

anthologie critique des poètes contemporains,

par Florian-Parmentier,

Gastein-Serge éditeur, s. d.

 

 

 

 

 

 

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