Colmaregia
Sur l’énorme flanc de la montagne
Ondoie, tremble l’herbe fine.
Une maigre vache, d’en haut, regarde,
Jusqu’aux brumes des lointaines cimes
Azurées et teintées de neige,
Les sombres abîmes, les pâturages, les noires
Forêts secrètes, les rochers gris,
Les blancs villages, les lacs bleus ;
Elle tend le museau en un long mugissement ;
Sans écho, dans l’air, expire sa voix.
Le poète s’étonne du sauvage
Orgueil de la Nature et il s’effraie
De cette cime solitaire qui semble s’élancer
Nue, indomptée, au milieu des vents.
J’entends un cri monter, fougueux,
D’en bas, des racines du mont,
Par les pentes de la masse escarpée ;
J’entends jaillir, du sommet que dore le soleil,
Tout à la fois louange, menace, prière
À l’adresse de la puissante cime qui, dans le ciel, frémit
Contre l’insulte d’un roi de poussière
Que le vent, par son souffle, compose et défait.
Je veux presser mon front au rocher audacieux,
Je veux monter, monter encore ! Ce n’est pas la poussière,
Nature, c’est l’âme qui te défie,
Qui dédaigne ton orgueil satisfait,
Et qui, comme l’aigle, sent son royaume
Ici, sur le roc géant vaincu,
Avec l’ombre en bas, le soleil en face,
Ici, au-dessus des folles clameurs humaines,
Des amours aveugles, des orgueils insensés,
Au milieu du rire silencieux de l’Univers
Le regard plongé dans le Dieu vivant.
Antonio FOGAZZARO,
Poésies, 1937.
Traduit de l’italien par
Lucienne Portier.