Don Tomaso
Un vieux chapeau sur la tête, les lunettes au milieu du nez,
Les jambes pendantes le long du mur, don Tomaso,
Placide, regardait dans l’eau calme et claire
Descendre doucement l’hameçon de sa ligne si chère.
Derrière le dos du Pasteur, bêlant, se caressant,
Agnelles et béliers venaient de temps en temps ;
À la maison se querellaient les brebis ménagères ;
Les agneaux innocents montaient dans les figuiers ;
Et lui étreignait sa canne à pêche, silencieux, attentif,
Car un gros poisson tournait avec lenteur
Autour de l’amorce traîtresse, la touchait du museau,
S’éloignait en agitant la queue et puis y revenait.
Quand voici, écoutez ! le poisson monte tout droit,
Arrive à fleur d’eau, souffle et dit à haute voix :
« Allons,
Clergeon ; si les miens vinrent un jour pour vous écouter,
Aujourd’hui, par Dieu, tais-toi, c’est nous qui prêchons.
Pas besoin de chaire si la parole est bonne ;
L’ânesse que tu sais, portait-elle surplis et étole ? »
Ici, satisfait de l’exorde, il toisa
Sa Révérence, agita la queue, et reprit :
« In primis et ante omnia (les poissons ont hérité du latin)
Tu es sale, prêtre ; tu sens mauvais ! Si toute cette eau
Était du vin, hein ! Je voudrais te tirer là-dedans,
Mais ce serait dommage pour mes frères, si propres, pour le doux lac.
Et que fais-tu là si longtemps ? Tu médites les Saints Pères ?
Pêches-tu donc les âmes avec ces outils de vol ?
À tes pieds tu vois, me semble-t-il, l’ombre d’un ignorant ;
Et le diable m’emporte si tu le chasses avec ces armes.
L’heure viendra plus vite peut-être, glouton,
Que par les naseaux t’arrachera le crochet du patron.
Jette les hameçons, jette la ligne, soigne tes agneaux,
Bonnes laines pour les ciseaux ! Et laisse-nous vivre, nous.
Quel beau troupeau d’agnelets, Pasteur, tu as élevé
Autour de toi ! Moi qui suis poisson, vois, je ne sais rester muet.
Si je n’ai la berlue, en ce moment précis,
Ils pillent tes figues. »
Comme un possédé
Don Tomaso bondit et se retourna en criant.
L’astucieux moraliste alors saisit l’instant ;
Il descendit manger l’amorce, cracha l’hameçon,
Et puis, dressant la queue, parmi les algues il disparut.
Antonio FOGAZZARO,
Poésies, 1937.
Traduit de l’italien par
Lucienne Portier.