Jamais plus

 

 

Tous les passants que Dieu jette sur notre voie

Nous laissent dans le cœur un étrange regret :

Nous voudrions connaître où le sort les envoie ;

Ils s’en vont pour toujours, et gardent leur secret.

Quand l’heure nous l’amène en un point de l’espace,

Nous saluons, pensifs, cet inconnu qui passe,

Car il n’a point promis qu’un jour il reviendrait.

 

Voyageur rencontré sur quelque grande route,

Que l’on quitte sitôt et qu’on ne verra plus ;

Jeune fille traînant une chèvre qui broute,

Sur ses pas, l’herbe rare et pauvre des talus...

 

Cavalier qu’on voudrait suivre des yeux encore

Jusqu’au but éloigné, quand il a disparu,

Lorsque à peine on entend son galop moins sonore,

Ainsi qu’un bruit d’enclume à chaque instant décru ;

Bûcheron qui se hâte, après son rude ouvrage,

Et regarde parfois, en reprenant courage,

S’allonger dans la nuit le chemin parcouru,

 

Ils s’en vont, ils s’en vont ! Et la brève rencontre

Nous rend mieux convaincus de notre isolement :

Le carrefour rayonne en tous sens, et nous montre

Deux branches, dont toujours s’ouvre l’écartement.

Et chacun prend la sienne, et l’espace est sans bornes,

Et nous avons l’effroi des solitudes mornes

Où chaque pèlerin marche indéfiniment.

 

Sans que nous ayons su le nom dont il se nomme,

Celui que le destin nous avait apporté,

Quand l’ombre impénétrable a ressaisi cet homme,

Nous sentons tressaillir notre fraternité.

L’âme a la vision d’un abîme, et s’effare :

Dans le rapide instant qui pour jamais sépare,

Un gouffre s’est ouvert soudain : l’éternité...

 

 

 

Maxime FORMONT.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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