HYMÉNÉE OU LE MARIAGE DU POÈTE
À Louis PIZÉ.
Toi qui gardes nos forêts,
Et ris dans l’onde inquiète,
Ô Muse du Vivarais,
Ceins de fleurs notre Poète,
Et fais passer en ma voix
Les souffles des eaux, des bois,
Ceux d’Apollon et du Faune
Qu’en l’ardeur d’un soir latin
A baptisé Saint Pothin
Au lit de la lente Saône.
Car déjà mon amitié
Sous tant de bonheur s’alarme :
Muse, accours, et par pitié
À nos vœux mêle ton charme,
Soutiens-moi, rythme mon chant,
Si mes mains vont s’accrochant
Aux cordes, glisse les tiennes,
Et qu’éclate radieux
Vers ce dieu vainqueur des dieux,
Le los des amours chrétiennes !
*
* *
Louis, le voici ce jour
Où ta jeunesse pensive
Avait convié l’amour :
Comme enfin la barque arrive
Qu’on croyait perdue en mer,
Le voici ! Le flot amer
De la vie au loin moutonne
Mais te livre bien vivant
Ton Rêve, ô cher poursuivant
Des mirages de l’automne.
Si l’Homme n’est que désir.
Devant les fruits de la vie,
Toi, Poète, quel plaisir
Fera ton âme assouvie ?
Toi le frère de ces eaux
Qui sous le vol des oiseaux
Frissonnent d’un heurt de plume,
Et qui dans leur profondeur
Réfléchissent la splendeur
De l’azur qu’une aube allume !
Car la foule n’entend point
La musique intérieure
Qui parfois t’exalte et joint
L’éternel aux jeux de l’heure :
Elle poursuit ses travaux
Tandis qu’aux âges nouveaux,
Chrétien qui sais que les causes
Sont Une dans l’univers,
Tu révèles par tes vers
Les voix secrètes des choses.
Mais si tu possédais Dieu,
Ton âme toujours avide
Se creusait à chaque adieu !
Ah ! qui comblerait ce vide
Que tout être porte en soi,
Ce grand vide qu’on perçoit
Dans cette heure solitaire
Où le tourment du divin
Laisse voir que tout est vain
Des promesses de la Terre ?
Et pourtant de quels frissons
Tu vibrais sous nos futaies,
Quand les torrents, échansons
De la prairie et des geaies,
T’emplissaient de leur fraîcheur,
Quand juin volait au faucheur
Le parfum des fleurs coupées,
Et que l’automne en passant
Courbait le front rougissant
Des fayards sur les napées ?
Et tu t’en allais songeant,
Dans l’allégresse des cimes
Dont le visage changeant
Parait tes fêtes intimes :
Riche de tout ce qui luit,
Frémit, soupire et s’enfuit
Aux doigts vifs de la seconde,
Tu composais ces trésors
Du plus précieux des ors
Cœur où se reflète un monde !
Mais, tournante ombre des pins
Qui flattiez ses rêveries,
Rosée au seuil des matins
Sur les roses, pierreries,
Vous portez votre défaut
Car pour combler l’âme il faut
Plus que la Nature : une âme,
Toute une âme à posséder,
Et pour faire déborder
Le cœur de l’homme, la femme !
Oh ! tes richesses, Louis,
Trésor où la main ne plonge,
Pour quels seuls yeux éblouis
Les cacher au creux du Songe ?
Et qui prendra ce butin
Sinon l’Épouse – un destin
Veut vos sorts indivisibles ! –
Sinon l’âme au pur regard
Assez haute pour voir par
Delà les choses visibles ?
Douce, voici qu’elle prit
Ce que donnait à sa grâce
Le secret de ton esprit,
Le plus tendre de ta race,
Ah ! voici qu’entre ses bras
Où, vaincu, tu dormiras,
Elle étreint ce trésor rare,
Ce présent d’un dieu jaloux,
Un cœur d’homme, son époux :
Qu’elle en soit la belle avare !
Mais à vos soifs d’absolu
Quelles grappes, quelles vignes
Promettaient le vin élu
Par les forts et les plus dignes,
Ce bonheur dont la raison
Surveillait la floraison ?
Déjà la tendresse enivre
Ces fronts aux nobles desseins
Et palpitent en vos seins
Tous les rêves qui vont vivre !
Pour vous griser de ce vin,
Aux feux d’un été complice
A mûri le fruit divin :
Ah ! le destin s’accomplisse !
Sous le feuillage de sang
D’un octobre finissant
Et toutes vendanges faites,
Élevez la coupe d’or,
La coupe d’amour où dort
Une ivresse sans défaite !
*
* *
Ô Muse qu’un jour si beau
D’aucune ombre ne s’altère :
Éclaire de ton flambeau
Les merveilles de la terre
Et les miracles des cieux
Aux amants audacieux
Qui laissant la rose vive
Et brève que sur les monts,
Feux d’herbes, nous allumons,
Veulent la flamme qui vive.
Et toi, Muse des chrétiens,
Grande Muse baptisée,
Garde ces cœurs : ils sont tiens !
Et sous la vaine risée
De ceux pour qui l’horizon
Des jours n’est point la prison
Que la mort brise à coups d’ailes,
Ouvre au couple à deux battants
Cet empirée où le Temps
S’offre aux amours immortelles !
Charles FOROT.
Paru dans La Muse française en 1924.