Ces conquêtes d’été

 

                    Fais couler sur mes mains le ciel rose et l’arôme

                    Tendre du jeune jour pour que mon œuvre embaume.

                                                                        Marie NOËL

 

 

Je vous saisis la main, venez !

C’est là-bas aux confins du monde

Que les chemins devraient mener

Nos fringales de ciel et d’onde !

Venez entendre respirer

Sur l’heure couleur d’orge mûre

Le rêve du jour aéré.

Nous étoufferons le murmure

Indépendant du ruisseau mol

En fredonnant quelque complainte.

Nous nous croirons dans le Tyrol,

En nous, nul remords, nulle crainte !

Nous ferons dévier le vent

Qui s’ensable au bas des montagnes.

Un appel nous tire en avant !

Les rires chauds du temps nous gagnent,

Précipitons nos cœurs tendus

Au plus profond du paysage !

Prenez mes cheveux éperdus

Pour un glissement du feuillage.

Sur les jambages en fusain

Que les pins creusent dans l’espace,

Arc-boutons l’espoir surhumain

De survivre à tout ce qui passe !

Laissons les lacets du soleil

Nouer chaudement nos deux âmes,

Jamais plus nous n’aurons sommeil,

Même les nuits seront des flammes

Où nos yeux pilleront encor

Des treilles lourdes de lumière !

Voyez, nous manquions au décor

Pour que l’ivresse soit plénière

Sur l’inépuisable beau temps !

Montons où nulle voix humaine

Ne peut s’arrêter bien longtemps.

Où nul bruit ne grince, ne traîne,

Qui vient d’en bas, du bouge obscur.

Tels des volets sous la bourrasque,

Nos cœurs martelleront le mur

Qui surplombe une large vasque !

Ce mur de pics démantelés

Où la tempête s’effiloche,

Où la tempête fait crouler

En des résonances de cloche

Tous ces silences balancés

Sur le vertige bleu des cimes !

Laissons nos rêves enlacés

Courir au-dessus des abîmes !...

 

 

 

Marie-Anna FORTIN,

Bleu poudre, 1939.

 

 

 

 

 

 

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