Immortalité
Et quand l’homme a passé son orageux été,
Donner son fruit divin pour l’immortalité.
LAMARTINE
Tu ne trouves donc pas, chercheuse de plaisir,
Que ce serait vraiment un beau soir pour mourir ?...
Décroiser sur le monde obscur nos mains tendues,
Et bondir vers là-bas, sur les cimes ardues !...
Arracher à l’azur tout ce poids de beauté
Trop dure pour nos cœurs punis dans leur fierté
D’avoir à s’en nourrir, sans jamais pour une heure
Être rassasiés ! Un triste espoir te leurre
Si tu crois que pour l’art se laisser émonder,
C’est vouloir s’en aller d’un cœur trop décidé.
J’aurais voulu laver l’ordure de l’abîme
Du seul sang de mon cœur chétif mais magnanime.
Qu’importent les lambeaux qui saignent à ses chairs,
Son chant sera plus pur pour traverser les airs !
Et tu ne sais donc pas que ce qui fait de l’ombre
Et de l’étonnement sur tes désirs sans nombre,
Tes gestes, tes bonheurs, c’est l’obscure clarté
Du soleil de la terre et cette inanité
D’étaler sur ton âme une humaine figure
Pour soutenir l’éclat divin de la nature. –
Afin que d’autres cœurs connaissent comme moi
D’un amour infini l’indestructible émoi,
Au service du beau je livrerais ma vie !
Pourquoi craindre la mort, ma jeunesse ravie
Y boirait la lumière au plein jour de la nuit !
Pour ceux-là qu’un dédain vil et glacé poursuit,
Je veux laisser flamber mon heure matinale,
Jeter sur les chemins, pétale par pétale,
Les boutons frémissants de tous mes lendemains
Que je voudrais lier en un seul coup de main,
En faire une ample gerbe et l’écraser vivante,
Te l’offrir toute chaude, ô nuit compatissante,
Pour tous ces veules cœurs que n’émeut pas l’été,
Et qui, pour s’entr’ouvrir, ne savent rien tenter !
Oui, je voudrais en eux faire couler la vie
De ma mort en plongeant dans l’absence infinie,
Comme une étoile file au bord du ciel hardi,
Dans la profondeur bleue où le rêve grandit !...
Le rêve qui transperce à grands cris inflammables,
Mon cœur exagéré, tels les cris implacables
D’oiseaux fous dévorant le cœur brûlé du jour !
Je suis juste et ce n’est pas un mesquin amour,
Un geste hypnotisé que ma jeunesse t’offre,
Âme étroite où l’erreur roule la catastrophe...
Et que m’importera de n’avoir pu laisser
Qu’une empreinte de dents sur le fruit écorcé
De la vie ?... En voulant égaler la prière
Innombrable du plein été, mon âme fière
Aura blessé sa joie en soulevant le poids
D’une amphore trop pleine, – au creux touffu d’un bois, –
De poésie où mousse à flot le vert silence
Sémillant du midi !
Puisqu’il faut, sans défense,
Tous, faire une folie admirable en mourant
De l’excès d’une chose, au bord d’un soir trop franc,
Sur un chemin trop croche, on trouvera brisée
Contre un mur de soleil ma tête inapaisée...
Ô puissant privilège !... Un excès d’idéal
Aura fait s’exalter le vertige final
Sur les deux raisins verts que sont mes yeux sauvages,
Pour n’avoir reflété que d’odorants feuillages !
Mes regards mûriront aux souffles flamboyants
Des célestes jardins ; et mes bras triomphants,
Rompus d’avoir porté les étés, les automnes,
Si pesants de clarté, d’éclat qui s’abandonnent,
Refroidiront au noir contact du sol creusé
Où la paix coulera sur mon front renversé
Tout l’éblouissement de la grande lumière !...
Tout le ravissement de l’extase plénière !...
Solitude adorable !... incrédule repos
Au cœur vertigineux qui sut être un héros !
Sur l’agitation pieuse de mon âme
Qui se sera brûlée en tisonnant sa flamme,
Et qui sentait, le soir, bondir tels des lions
Ses avides ferveurs autour de sa prison,
Qui n’aura jamais fait de son chant quand il pleure,
Une âpre diatribe à l’adresse de l’heure
Étrangère, hideuse où l’on me pressera,
– Bâillonnant mon sourire et pesant sur mes bras
Déjà seuls et glacée, – entre deux murs de sable
Éternellement noirs... ce sera l’incroyable
Rigidité du corps sur l’agitation
Brûlante de mon Âme !... Oui, l’agitation
Amoureuse, éblouie, ivre, indéfinissable,
Faite d’entière paix, de calme imperturbable !
Ceux qui savent l’Amour me pardonneront bien
Ces bondissants appels vers un puissant destin,
Cette offrande qui rougirait d’être petite,
Car ils savent, ceux-là, que l’on atteint plus vite
L’éternelle Harmonie en la préfigurant,
Mais qu’on peut la goûter vraiment, rien qu’en mourant !
Marie-Anna FORTIN,
Bleu poudre, 1939.