Je ne peux mal aimer
Car nous sommes ceux qui n’ont pas
besoin de joie pour être heureux.
Henriette CHARASSON
Il n’y a pas pour moi de cœur semblable au vôtre.
J’aurais beau pénétrer tous les êtres humains,
Je n’en reconnaîtrais qu’un seul sur les chemins.
Quels souffles ont jamais frémi comme les nôtres
Sous les archets de mai !
Pourquoi faut-il souffrir cette étrange ironie ?
Jamais plus qu’un instant réaliser l’Espoir...
Alors qu’il faut vieillir du matin jusqu’au soir
Avec ceux que souvent notre ardeur mortifie
D’un mot trop enflammé.
Au sommet de l’été je voudrais vous étreindre
Parmi le chaud silence où le raisin mûrit.
Je suis trop étrangère à la foule qui rit ;
C’est sur ce pan de ciel que je voudrais vous peindre
Et très haut vous nommer !
Quand parfois certains soirs il faut être bavarde,
Je m’arrête en parlant pour penser rien qu’à vous.
Mes yeux se font alors si tristes et si doux
Que personne ne sait ce que mon cœur regarde
Sur un mot refermé !...
Mille fronts passeraient et mille autres encore
Que je ne verrais rien que d’immenses yeux pers
Déchargeant sur les miens qu’un souffle tient ouverts,
L’appel de la Lumière où leur feu se colore
Au feuillage embaumé !
C’est sur le cœur de Dieu que sont noués les nôtres.
Il n’y aura jamais, entendez-vous, jamais
De mots plus éternels que les miens désormais !
« Je ne peux mal aimer comme le font tant d’autres »
Qui n’osent s’affirmer !...
Marie-Anna FORTIN,
Bleu poudre, 1939.