Les plus beaux poèmes

 

 

                                Ce fut un grand vaisseau taillé dans l’or massif.

                                .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .

                                Que reste-il de lui dans la tempête brève ?

                                Hélas ! il a sombré dans l’abîme du rêve !

                                                                    Émile NELLIGAN

 

 

À ÉMILE NELLIGAN

 

 

Ce sont ceux qui jamais n’auront rimes ni mots,

Ceux qu’on ne lira pas pour divertir ses maux.

               Foulés au fond de la pensée

               Par l’orgueil d’une heure insensée,

Nus derrière le jour, ils errent dans la nuit

De la parole ingrate où la Beauté poursuit

               Leur chaud et véhément silence

               Et flagelle leur somnolence.

Ils se sentaient voués à l’immortalité

Sous le lourd vêtement du rythme et de l’été !

               Ils auraient vanté, ces poèmes,

               La montagne et ses lacs bohèmes,

Le bon contentement des nuages qui vont,

Paisibles, nonchalants comme de blancs moutons,

               Paître les profondes prairies

               Du ciel ourlé de broderies.

Ils se seraient cabrés contre le colossal

Orbe des soirs chargés d’un flambant idéal !

               Portant la haute poésie

               Et la romantique asphyxie

Des instants suspendus au roc bleu des lilas,

Ils auraient titubé, prêtant leurs gestes las

               Aux bonds soleilleux des arômes !

               Le vent qui dresse ses fantômes

Sur le malaise oisif des saisons se serait

Vu tordre et secouer par ces vers qui voudraient

               Devant l’univers en prière

               Se prosterner dans la lumière !

Ô les poèmes fous qu’on aurait soulevés

De gloire évangélique et qu’on aurait sauvés

               De la tragique nostalgie

               Où sombre leur âme élargie !

Casqués d’un flamboyant halo de vérité,

Tels des marbres vivants porteurs d’éternité,

               Leur chant d’une ampleur hellénique

               Aurait eu l’élan spasmodique

Des grandes eaux où vont tanguer les paquebots !...

Méprisant la pierraille encombrante des mots,

               Ils restent ce flottant mystère

               Lourd de tout l’amour de la terre !...

 

 

 

Marie-Anna FORTIN,

Bleu poudre, 1939.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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