Aux morts

 

 

Dans votre circonspect et monotone asile,

Quelle résonance a sur vos cœurs à la file

              Le bruit glissant de nos talons

Sur le sol soulevé par vos formes exsangues ?...

Quels aveux anciens viennent brûler vos langues

              Quand grincent les noirs violons

Du vent qui caracole autour du cyprès triste ?...

Qu’entendez-vous gémir de tout ce qui subsiste ?

 

Descente horrifiée et vertige insistant...

Profondeur du ciel bleu dans vos tombes pourtant !

              Incommuable solitude,

Vous avez échangé l’angoisse de mourir,

Cette humaine défaite où tout nous voit partir,

              Pour la paix sans vicissitude.

Et le plus triomphal délire vous saisit

Dans cette obéissance où votre corps moisit !

 

Minutieusement mélangés à la terre,

Enfouis au plus creux du sacrifice austère,

              Vous tuez noblement la mort !

Sous l’ombre du granit branlant la croix s’allonge,

Dans vos étroits dortoirs sa prière vous ronge...

              Dormir est votre pire effort.

Un fracas de clarté soulève vos fronts denses

Opprimés sous l’épais vêtement du silence !

 

La tombe éclate sous les protestations

De la cendre, et vos mains, blanches dévotions,

              Pillent les étés de lumière

En le constant et chaud déployement des matins !

À tâtons, vous fuyez les fossés clandestins

Où rouillent vos cœurs de poussière...

Il coule du soleil plein vos regards ravis,

Et morts, vous êtes plus vivants que moi qui vis !

 

Cœurs puissants qui chantiez pâlis de mysticisme,

Vous a-t-il coûté cher votre bel héroïsme

              Quand la mort vint vous bâillonner ?

Avez-vous enfermé les saisons dans vos tombes

Pour vous coucher parfois sur les feuilles qui tombent ?...

              Et pour voir encor rayonner

L’enchantement des belles nuits sur le mystère

Sombre et lâche et flottant qui vous lie à la terre ?

 

Et par les soirs d’hiver désespérément froids,

Quand vous sentez peser le verglas sur vos croix,

              Nos respirations collées

Sur le sol rejoindraient-elles vos pieds glacés

Inlassablement aux racines enlacés ?...

              Vos douces âmes envolées

Baignent dans l’Éternel vos douloureux secrets...

Son ineffable Amour divinise vos traits !

 

              .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .

 

« Qu’ils ne soient pas jugés dans la dure lumière,

Qu’ils ne soient pas jugés dans le premier matin,

Mais au maigre buisson qui bornait leur destin.

 

.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .  

 

Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre. » – Péguy

 

 

 

Marie-Anna FORTIN,

Bleu poudre, 1939.

 

 

 

 

 

 

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