Obsession
Cet effort sur ma flamme à mon honneur est dû.
CORNEILLE
Je voudrais démêler ce qui m’étrangle l’âme
Depuis ce jour plus pur qu’une bulle d’éther !...
Je ne comprends pas bien ce soupir qui se pâme
En moi plus affolé qu’une vague de mer,
Quand le vent rude y fait écrouler sa rafale !
Dois-je vous l’avouer ? – ce tourment-là me vint
Quand je vous attendais si fidèle et si pâle,
Dans le long corridor où, tel soir, me parvint
Le son trop affaibli de votre voix aimée.
Vous étiez au dehors, le chaud feuillage vert
Décalquait vos traits fins comme un brillant camée.
Mon regard inquiet tout à coup s’est couvert
D’un brouillard où tremblait le feu de ma paupière.
Je répondais si mal à ce qu’on me disait,
Vers vous penchaient mon cœur et ma pensée entière
Et tout en moi cherchait le mal qui me brisait !
Quand je vous vis venir, passer et disparaître,
J’aurais été de force à renverser le mur
Qui séparait nos mains. L’ardeur de tout mon être
Palpitait à l’appel de ce grand souffle pur
Où vous noyez en Dieu ma tendresse captive.
Du fond de ce vertige où pour vous j’ai prié,
S’est dressée en mon cœur une douleur si vive
Que dans mon désarroi j’aurais voulu crier
Pour que vous m’entendiez au travers de la porte !
Sur mes nerfs, je sentais se démolir le temps,
Et mieux aurait fallu que vous me trouviez morte
Que d’ignorer toujours le martyre puissant
Qui me venait de vous !... Car vous avez, chère Âme,
Obsédé de clarté mon incertaine nuit...
Et vous m’avez liée à cette gerbe en flamme
Qui monte se dissoudre où s’étoile minuit !...
Marie-Anna FORTIN,
Bleu poudre, 1939.