Offrande d’automne
Nous courions la montagne hier, octobre et moi,
Il était fol, j’étais loquace, à nous entendre
On eût dit que nos fronts supportaient tout le bois !
Et je serrais si fort les doigts de ce mois tendre
Que de chaque jointure il a jailli du sang
Sur toute la saison ! Cette fougue qui brise
Et mon corps et mon âme, ourlait le jour penchant
D’un peu plus de fierté ! Ballotté par la brise,
Le soleil s’écrasait frileux, mince, épuisé,
Sur les vignes en feu. Sentant faiblir l’étreinte
Où la terre encor tient sur son rêve aiguisé
Par l’acide fraîcheur, la pâlissante empreinte
De l’été consumant, j’ai voulu me hâter
De vous saisir en gerbe, ô ma chère lumière,
La couleur, la beauté, la saveur, la clarté,
Tout le plus chaud du cœur de ma montagne altière !
Mon amour tremblait plus qu’un buisson sous le vent,
Il s’est penché plus lourd que la plus lourde branche,
Il a déconcerté le silence mouvant
En vous cueillant ces fleurs par un jour de dimanche
Indéfiniment beau ! Le bruit sec et gelé
Que faisait chaque tige en cassant sous le geste
Épars de mes deux mains, paraissait s’envoler
Comme ces coups de bec qu’un pic oblique et leste
Darde sur une écorce ! Et je vous ai tendu
Ces coques d’ambre pâle ouvertes en calottes
Sous les boules de jaspe où l’artiste a fendu
Son cœur en six quartiers de flamme qui grelottent
Aux venteuses rumeurs des sommets refroidis.
Je vous les offre à vous, ces rayons mis en grappes !
Rien qu’à vous ces nœuds d’or, ces bouquets attiédis,
Ces tendres fruits gonflés, ces cœurs vifs d’où s’échappent
Encor chaudes l’haleine et l’ostentation
D’un rouge-gorge ! Un vrai bouquet d’automne où tremblent
Toute la violence et la dévotion
Des agrestes odeurs où la montagne semble
S’arracher de soi-même ! Oui, c’est pour vous que j’ai,
Écoutant à mi-ciel crouler le vent des cimes,
Trébuché sur le roc où pendait surchargé
L’orgueil des épis mûrs qui me tendait ces rimes !
Tout le long de la pente il a coulé mon cœur,
Pour se remplir à neuf de la sauvagerie
Hardie, inconsciente où l’on perd sa douleur
À sentir tout à coup comme une aile qui prie
Nous fouetter l’épaule !... Oh ! le sublime instant !
Parmi la résonance et l’ardeur sans mesure
Du coloris, du jour tenace et du beau temps !...
J’ai noué ma prière à cette gerbe mûre
Avec le cher lien de mes vieux sentiments.
Pour moi, vous l’offrirez à la Vierge d’octobre
À qui vous parlerez de mon cœur par moments :
Pourrait-il vivre encor s’il devenait plus sobre ?...
Marie-Anna FORTIN,
Bleu poudre, 1939.