Ô grande nuit d’hiver !
Ô grande nuit impénétrable,
Dans ton tourment divin je m’en irais mourir,
S’il ne fallait pas vivre encor quelques journées
Pour expier le mal de mes courtes années.
L’éther est comme un bloc de fragile saphir
Qui se balance impondérable
Sur les brillants remous où se heurte le cœur,
Gonflé par la bleuâtre et fougueuse amertume
Que précipite en lui l’ombre qui se rallume
Et répand sur l’hiver son incisive odeur.
Sur le sillage et la furie
De ce soir somptueux où l’amour coule à flots
Des respirations intimes des étoiles,
Mon rêve frénétique a déployé ses voiles,
Il bondit à l’assaut vers ces tremblants îlots
Qui font miroiter la prairie !
Ô pieuse nuit blanche où s’est évaporé
Tout l’émerveillement d’un surhumain artiste
Dont la fiévreuse extase en mon esprit subsiste,
Un lierre en frimas ceint ton front décoloré !
Chaleur de nos âmes mêlées
Sous l’azur glacial quand s’élancent, le soir,
Nos aspirations suppliantes tendues
Vers les saisons d’en haut où s’élève éperdue,
Où s’évanouit comme un parfum d’encensoir,
L’âme flottante et consolée
D’un vieux tronc de bouleau à travers les festons
De fumée émergeant des basses cheminées !
Route de corail bleu, lamée et satinée
De verglas, sur tes clairs silences nous glissons,
Ô chère nuit ! puis nos deux ombres
De fuir en s’étreignant sur les paisibles murs
Où rit le clair de lune ! Et le cœur de la terre
Vient battre sur mon cœur quand la fougue sévère
Du vent du nord arrive en larges soufflets durs
Abattant mon rêve en décombres.
Mais je sens tes doigts fins engourdis par le gel
Frémir sur mon épaule, ô nuit contemplative !
Et je veux enfermer ta langueur maladive
En mon être dissous dans l’immatériel !
Solennité des nuits profondes
Où l’on dissèque et taille et reprend son amour
Indompté !... Où l’on creuse à plaisir en son âme
Géante et compliquée une houle où la rame
Des souvenirs replonge ! Et sur le songe lourd
Des ruisseaux que la lune inonde,
Sur le corps enneigé de l’austère saison,
Mon cœur compatissant qui s’use et se surmène,
Insuffle sa chaleur au froid qui se promène
Et qui vient m’étrangler jusque dans ma maison !
Marie-Anna FORTIN,
Bleu poudre, 1939.