Sous les pins
Sur les jambages en fusain
Que les pins creusent dans l’espace,
Arc-boutons l’espoir surhumain
De survivre à tout ce qui passe !
M.-A. F.
Nous irons, un beau jour, ensemble sous les pins.
Nous partirons à l’aube avant que l’excessive
Fougue du plein soleil ne darde les chemins.
Buvant le jeune jour comme une liqueur vive,
Nous nous arrêterons le cœur gorgé d’air pur
Pour voir s’extasier le matin qui ruisselle
Et crénelle les pins au-travers de l’azur !
Ces grands pins dont le noir vagissement rappelle
Le chagrin qu’une enfant leur fit en s’en allant...
Une enfant qu’ils aimaient pour sa douceur exquise,
Et qu’ils pleurent encor les vieux arbres dolents !
Je vous rendrai, cher Être, aux appels de leurs brises,
Nous irons auprès d’eux vivre au moins tout un jour !
Ah ! le son transparent et le goût de résine
Qu’auront nos rires drus sur le désordre chaud
De nos cœurs grands ouverts ! Sur un banc de racines
Où s’obstinent la mousse et les plumes d’oiseaux,
Vous vous reposerez pour avoir fait trop vite
Le tour de cette haie où vous rêviez jadis.
Et pour vous chevroter ce qui se précipite
En moi, je m’assoirai, comme en un paradis,
À vos pieds, sur l’épais molleton des aiguilles.
Mes silences fervents sauront bien respecter
Tous vos bonheurs passés qui gonflent les charmilles.
Mon cœur par longs moments laissera s’arrêter
Et s’enfoncer le vôtre au creux des innombrables
Rappels aux souvenirs de vos jours en-allés.
Le bran des cônes roux me servira de table,
Et tout ce que ma voix ne pourra démêler,
J’essayerai de l’écrire en délirantes strophes !
Tous vos gestes mettront en émoi le beau temps
Qui drapera nos fronts de ses claires étoffes !
Et pour ne pas me faire oublier trop longtemps,
J’appuyerai longuement sur vos genoux ma tête
Où s’entasse et s’émeut ce que mes fiers élans
Ne peuvent confier à la pente distraite
Où glissent les passants. Mes pâles doigts tremblants
Noueront avec ferveur un fragile rosaire
De bleus myosotis, ces retailles d’azur,
Autour de votre front. – Vous me laisserez faire
Si je trouve à garnir en frais lierre ou fruits mûrs
Vos fins souliers pour que, quand nous serons parties,
L’on puisse aller creuser la trace de vos pas
Partout où traîneront des cerises flétries
Ou du feuillage inerte. En me chantant tout bas
La divine harmonie où nos âmes se frôlent,
Vous renouerez ma tresse en trois rouleaux épais
Qu’un vent malin fera crouler sur mes épaules,
Le même vent soyeux qui jadis galopait
Parmi les noirs reflets de vos légères mèches.
Et sur le plein midi implacablement beau,
Coloré, parfumé comme une riche pêche,
Nous irons taquiner la majesté de l’eau
En faisant ricocher sur son houleux visage
Les blancs petits cailloux ! Et dans ce cher décor
Où pour vous s’ouvrira le cœur du paysage,
Vous serez en humeur de m’affliger bien fort
Si vous ne consentez à me laisser empreindre
Sur le fond clair des pins, vos traits sur un cliché.
Car près de ce rivage où reviendront déteindre,
Irradiant la mer, les lingots ébréchés
Du soleil qui s’abaisse en rougissant sa plainte,
Ô mon Ange adoré, vous me rappellerez
Ces Madones d’amour que le Rembrandt a peintes !
Voyant rutiler l’eau, vous me raconterez
Vos ébats d’autrefois dont la saveur scintille
Encor près du vieux pont ! Et puis, au bras du vent,
Surgira devant nous la douce jeune fille
Qu’on appelait Florence ! Elle devait souvent
Courir l’encens du soir au bord de la rivière
Pour accorder son rêve au bruit du flot houleux !
Je la vois se pencher sur l’onde familière
Où sa robe a voulu laisser ses reflets bleus.
Nos cœurs chemineront à travers le mystère
Du ciel qui se balance aux crochets noirs des pins...
Et comme faisait Jean près de Jésus naguère,
J’écouterai ravie, en vous tenant la main,
Votre voix que l’ardeur apostolique oppresse,
M’exalter Celui qui, sur la chaude saison,
Mêle à tous nos chagrins un trop-plein d’allégresse !
Puis avant de quitter votre vieille maison
Que j’entendrai pleurer lorsqu’au seuil de sa porte
Nous aurons vu frémir le moment du retour,
Avant que dans la nuit le chemin nous emporte,
Au tronc visqueux d’un pin, d’une main sans détour,
J’écrirai nos deux noms !...
Et pour que l’on écoute
Encore résonner nos voix le lendemain,
Nous nous retournerons au revers de la route,
Et puis nous chanterons une stance à vos pins !
Marie-Anna FORTIN,
Bleu poudre, 1939.