Rencontre

 

 

À MA MÈRE

 

                                      Est-il parmi les tiens une si noire hostie,

                                      Un sang que tout l’azur ne peut pas délaver ?

                                                                                  Medjé VÉZINA

 

 

Seigneur, marchons ensemble, il fait noir sur la terre,

              Cependant que le ciel est blanc,

Blanc de lune blanchie, effrayée et sévère.

              Rapproche de mon cœur tremblant

La plaie où coulent vingt siècles de vie offerte.

              Ta joue exsangue n’a fini

De sentir le baiser noir qui roule ta perte.

              Traître nuit de Gethsémani !

Un péché s’est commis et puis encore un autre,

              Alors encore un autre coup

D’amour disperse ton côté ! Creux l’on se vautre,

              On a peur de ton regard doux,

Si doux !... On entendait ton pas sonder la route

              Et vite on a gagné la nuit

Parmi la forêt louche. Inutile déroute.

              Ton cœur sanglant avec eux fuit.

Plus ils s’enfoncent loin, plus ils te sentent proche...

              Car tu les suis !... Toi, le Pasteur !

L’obsession d’un Dieu tendre bat sur la roche

              De leur cœur, à tâtons. Seigneur,

J’ai vu que tu venais, fléchi sous la tragique

              Croix où palpite et saigne encor

Un lointain vendredi ! Ta promenade épique

              Flairait leur piste... et sur ton corps,

La poussière des grands chemins... et sur ta joue,

              Roulaient chauds, longs et drus les pleurs.

Et je t’ai rencontré... là-bas, on bave, on joue :

              Ânerie ! Unique Douleur,

Moi, je t’ai rencontrée... et touchée... adorée !...

              Tu gémis, Toi ?... Toi le vaincu

De la journée humaine ?... On l’aurait dévorée,

              Cherchée, oui !... si l’on avait su

La goûter ton Hostie !... On l’aurait tant aimée !

              Marchons ensemble et fais peser

Sur mon dos méprisable en cette nuit pâmée,

              Le bois de ta Croix tout usé.

Mon amour élargi s’acharne à te les rendre

              Eux, les choisis, les appelés.

Ils reviendront... Déjà, Maître, tu crois entendre

              Un bruit de retour affolé.

L’ombre du temps touffu se replie et se froisse,

              Et celle des âmes aussi...

Attends-les à l’orée, ils auront une angoisse

              De mort sur un front rétréci.

Vois leurs cols déchirés couleur de ta tunique...

              Leurs yeux lourdement hébétés

Qui plongent au travers des sapins balsamiques,

              Sur les tiens, ils sont arrêtés !

 

 

 

Marie-Anna FORTIN,

Bleu poudre, 1939.

 

 

 

 

 

 

 

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