Ô long rosaire...
Ô long Rosaire de bois noir
Qu’elle dévide jusqu’au soir,
Dévots et gracieux méandres
Où son cœur glisse sous ses tendres
Doigts pâles qui semblent creusés
Tant ils se sont souvent posés
Sur ces grains durs qui s’échelonnent.
Rosaire de ma douce nonne !...
Tu sembles fait pour mesurer
Nos bonheurs qui doivent durer
Le temps que met une dizaine
À secouer nos moindres peines.
Comme trois grappes de fruits mûrs
Qui traînent sur un sombre mur,
Tu tombes sur sa jupe austère,
Pendant de son cœur solitaire.
Tels ces cassis qui viennent drus
Et que l’on mange noirs et crus,
Tes grains sont pour l’âme affamée
La bouchée ivre et parfumée...
Ils sont dociles et plus doux
Que les colliers de fins cailloux
Égrenés au fond clair des sources
Et que l’eau délave en sa course.
Rosaire aux maillons de clarté,
Qui toujours s’agite au côté
De la pieuse couventine,
Que j’aime ton rire en sourdine !
Lorsque tu roules dans sa main,
Je découvre sur chaque grain,
En larges veines de lumière
Le jet des suaves prières
Qu’elle suspend à chacun d’eux.
Par ton clair cliquetis joyeux,
Tu m’avertis lorsqu’elle approche
Dans le silence qu’effiloche
Ton bruit de grêle incision,
Doux écho de dévotion
Qui rythme en discrètes sonnailles
Son pas glissant près des murailles,
Et le chant de son cœur ouvert
Qui jubile d’avoir souffert !
Rosaire dont la triple chaîne
Est si légère à qui la traîne,
Étroit chemin de pas tracé
Où tous les jours elle a passé
La petite religieuse
Dont la belle âme harmonieuse
Revient blottir ses doux effrois
Contre le saint bois de la Croix !
Marie-Anna FORTIN,
Bleu poudre, 1939.