Sagesse
Ne vous enfermez pas pour raturer des vers
Et ne pâlissez pas sur des chiffres amers.
Oubliez Diogène et quittez Diophante,
Moquez-vous du savoir et refermez le Dante.
Ignorez Épictète et proscrivez Pascal,
Moins vous serez puissants, moins vous aurez de mal !
Car c’est vouloir atteindre un pic où nul ne passe
Et saigner sur sa croix, tout seul en plein espace...
C’est se creuser un cœur toujours prêt à s’ouvrir,
Trop fragile pour vivre et trop fort pour mourir.
Suivez-moi dans la plaine en fougueuses cohortes,
Partez, puis au jour fol ouvrez toutes vos portes !
Aux orchestres des nids, mêlez les clairs hautbois
De vos voix résonnant sur des saveurs de noix.
Soyez studieux à l’école buissonnière,
Et ruez vos plaisirs sur des murs de lumière !
Conjuguez le soupir de la tendre saison,
Stimulez sa furie et vous aurez raison.
Prenez pour parchemin l’ourlet bleu d’un nuage,
Et feuilletez la grammaire du paysage.
Disputez-vous le bois : aux mûriers épineux,
Laissez un peu du sang de vos bras vigoureux.
Main dans la main, tournez les spirales d’Éole,
À la file dansez, dansez la farandole !
D’un cœur illimité, saisissez l’univers,
Oubliez tout un jour que vous avez souffert !
Pillez à fond les chauds massifs de poésie,
Il n’y a pas de plus riche philosophie !
Essayez d’asservir le vertige des nuits,
Déchiffrez en riant leurs stoïques ennuis.
Mordez à pleines dents le jardin qui détonne,
Et savourez l’orgueil de marcher sur l’automne.
Nagez avec Hygie à l’entour du beau temps,
Au bord de l’infini, tenez ferme longtemps !
Prodiguez-vous, soyez d’invulnérables flammes,
À tout ce qui flamboie, apparentez vos âmes !
D’avoir sondé le ciel, revenez le front lourd,
Et le cœur à jamais illuminé d’amour !
Marie-Anna FORTIN,
Bleu poudre, 1939.