Je vous tends ces corbeilles
Oui, je vous offre encor, Âme unique toujours,
Ce que la vie étreint et courbe sur mes jours.
Ce qui fait que je suis cette amoureuse chose,
Cette blonde liane où l’été se dépose.
La surprise de mon esprit contemplatif
D’assujettir l’espace à mon cœur fugitif.
Tout ce qui fait que vous m’appartenez sans cesse,
Ô ma vivante Flamme, appui de ma jeunesse !
Tout ce que je respire et tout ce que j’entends
Quand je prends par la main les gambades du temps.
La paix fluide des nuits où, sur la marche en pierre,
Je bois la lune au cœur de mes roses trémières.
Ces grappes de silence où mange le soleil,
Ces pelouses du rêve où s’étend mon sommeil.
Ce tendre abattement du soir élégiaque
Où mon amour s’esquive ainsi qu’un maniaque.
L’orgueil des papillons qui baisent mes iris
Et les soupirs jaloux de mes volubilis.
Le bruit lent de vos pas sur le fond de mon âme,
L’émoi toujours nouveau que chaque jour réclame !...
Ces mots créés pour vous que vous n’entendez pas,
Mais qui vous remueront jusqu’après mon trépas !
Ces vers que chaque fois je demande à Coppée
Lorsque à souffrir par vous je suis tout occupée :
« Et le chagrin qu’un jour vous me puissiez donner,
J’y tiens pour la douceur de vous le pardonner » !
Ce hardi cheveu blanc, lequel, j’ai souvenance,
A vieilli certain soir... sous l’effroi d’une absence !
Les panaches d’odeurs qui gonflent le cordon
De ciel bleu qui s’enroule autour de ma maison.
Le frais de mon ombrelle aux juillets couleur d’ambre,
Le chaud de mon manchon pour vos mains de décembre.
Le mur de ma montagne où s’écrase le vent,
L’améthyste où mon lac erre indéfiniment...
Les sursauts de mon cœur où montent les prières
Que savaient inventer les pieuses bergères.
Tous ces instants de moi qui vous cherchent toujours,
Tout l’écheveau du fil si ténu de mes jours !...
Tout... rien que cela, tout ! n’ayant dans mes corbeilles
Que le doux paysage où pillent mes abeilles !...
Marie-Anna FORTIN,
Bleu poudre, 1939.