Consolation
Quand mon candide front revêtu d’innocence
Portait en se jouant sa couronne d’enfance ;
Lorsque l’illusion, cette fille du ciel,
Versait dans ma jeune âme et les fleurs et le miel,
Et que les rêves d’or, comme un groupe d’abeilles,
Venaient bercer mon cœur avide de merveilles,
J’étais heureux alors, ami !... De toutes parts
Le monde reluisait si frais à mes regards !
Alors mon œil séduit au fond de toutes choses,
Ne voyait que rubis, que parfums et que roses !
Quand ma voix innocente appelait le plaisir,
Le plaisir en riant se hâtait d’accourir.
Oh ! mes lèvres d’enfant, à longs traits, de la vie
Ont su goûter alors l’onctueuse ambroisie !
Mais depuis, quand j’allai, novice pèlerin,
Plus avant dans ce monde autrefois si serein,
Et qu’aux maux de la vie, à ses vastes misères,
J’eus heurté mon cœur d’ange et toutes ses chimères,
Quand vers ce lupanar, ce vil prostitué,
D’ordures et de sang nuit et jour pollué,
J’eus incliné mon front qu’animait l’espérance,
Et demandé les biens rêvés dans mon enfance ;
Alors que devant moi je vis, sombre géant,
Le malheur se dresser, debout, l’œil menaçant.
Et de son bras d’airain, comme des fleurs d’automne
De mes songes chéris effeuiller la couronne ;
Oh ! quand je vis de près dans sa rude âpreté.
Le fantôme hideux de la réalité ;
Le crime, au regard sombre, au front plein d’arrogance
Comme l’herbe broyer la timide innocence ;
La haine tortueuse, en me tendant la main,
Dans l’ombre me jeter les flots de son venin ;
Et l’immonde égoïsme, éblouissante idole,
D’un peuple de flatteurs humer l’encens frivole ;
Quand je me vis jeté dans ce monde d’airain,
Dans ce chaos étrange,
Moi qui n’avais rêvé que des voluptés d’ange,
Alors, oh ! c’est alors que je criai : Malheur !
Et mon front se crispa d’épouvante et d’horreur.
Mon âme en bondissant se tordait de colère.
Elle voulait alors revenir en arrière
Et ressaisir les biens dont elle avait joui ;
Mais il n’était plus temps : le bonheur avait fui !
En vain je secouai la robe du Centaure :
Sur mes flancs déchirés elle pesait encore.
Je gémis, je pleurai ; c’était horrible à voir !
Nulle trêve à mes maux ! – Enfin le désespoir,
Comme un aigle, à l’œil fauve, au sein d’un noir abîme,
Comme un affreux vautour qui fond sur sa victime,
En hurlant s’abattit au dedans de mon cœur !
Que de fois je voulus, en ma rage insensée,
Comme un joyau futile, une parure usée,
Briser ma vie ! ! ! – Ô vous, mes frères en malheur,
Vous qui pleurez l’enfance et ses joyeux mensonges,
Ses prestiges si doux, ses poétiques songes,
Vous, séraphins tombés, que le monde en riant
A flétris de son souffle, apprenez-moi comment
Vous passez à travers ce chaos de tempêtes !
Quel arc-en-ciel brillant rayonne sur vos têtes !
Dites-moi, mes amis, quelles gouttes de miel
Vous trouvez dans ce vase où l’on boit tant de fiel !
Ô mon Dieu, que je t’aime !
Tu m’as sauvé, Seigneur, en dépit de moi-même !
Loin de lancer ta foudre et d’écraser mon front,
Ta main m’a protégé, Dieu consolant et bon !
Et je t’avais maudit ! Et sur ton nom suprême,
Sur ton nom glorieux, ton amour et ta loi,
Ma langue avait dardé l’injure et le blasphème !
Et mon âme en délire avait douté de toi !
C’est en toi désormais, en toi seul que j’espère,
Seigneur, mon doux soutien, mon protecteur, mon père !
Je n’aimerai que toi ! – Le monde, désormais,
Aura beau m’étaler ses plus riants attraits ;
À mes yeux, détrompés de toutes ses caresses,
Il fera luire en vain ses plus belles promesses ;
Je passerai, Seigneur, sans détourner mon front !
Mes vœux et mon amour vers toi seul monteront !
Au déclin du soleil, au lever de l’aurore,
Je redirai toujours : Ô mon Dieu, je t’adore !
A. FOURCADE (d’Argelès).
Paru dans La France littéraire en 1834.