Résignation

 

 

Encore, encore un jour qui pour nous se dévoile,

Un jour qu’il faudra vivre et suivre pas à pas ;

Et puis viendront le soir et la nuit sans étoile,

       Et les rêves qu’on ne sait pas.

 

C'est le mystère ! il faut marcher sans le connaître.

L'épi vient sans savoir qu’il tombe à la moisson,

Et l’oiseau ne sait pas pourquoi Dieu le fit naître

       Dans les épines du buisson.

 

Nous, nous voulons savoir pourquoi l’air roule et passe ;

Pourquoi dans chaque vie il est un triste adieu ;

Nous voulons de nos yeux interroger l’espace

       Où nul ne peut lire que Dieu !

 

Eh ! n’est-ce pas assez que la terre nous emporte,

Et nous donne ses fruits, de l’ombrage, un foyer ?

Au moment de partir, la mort ouvre une porte,

       Et l’on sort sans se coudoyer.

 

C'est tout, hélas ! c’est tout ! le berceau, puis la tombe.

L'enfant vient, le vieillard s’en va. Le pleure-t-on ?

Quand la feuille est jaunie, il faut bien qu’elle tombe

       Pour faire place au rejeton.

 

C’est que Dieu dans nos jours a mis de douces choses,

C’est la colline ombreuse, et l’onde et l’horizon

C’est l’abeille qui boit dans un soleil de roses,

       Dont elle se fait le rayon.

 

C’est le pavot qui flotte au milieu de la plaine,

C’est le rameau fleuri qui penche vers le sol,

C’est le petit oiseau qui déploie avec peine

       L’aile où déjà tremble son vol.

 

Et nous crions toujours, et notre voix blasphème ;

Nous voulons voir du ciel l’invisible chemin ;

Renverser l’univers, refaire l’œuvre, et même

       Créer un Dieu de notre main.

 

Fous ! nous voulons savoir. La nuit nous environne ;

Nous voulons tous du siècle une immortalité ;

Nous parlons d’avenir, et par l’heure qui sonne

       Notre avenir est emporté.

 

Orgueil ! Orgueil ! Eh quoi ! dès nos jeunes pensées

Nous voulons qu’un genou se plie à nos genoux !

Insensés ! Mais avant que nos chairs soient glacées

       On ne se souvient plus de nous !

 

Eh ! qu’importe qu’il vienne un enfant, une femme

Chercher sur une pierre un nom presque effacé,

En disant, tout en pleurs : Revivez dans mon âme,

       Souvenir d’un bonheur passé ?

 

Lorsqu’on nous a cousus dans la toile grossière,

Qu’on a cloué sur nous quatre morceaux de bois,

Qu’importe qu’on nous fasse un lit dans la poussière,

       Et qu’on nous pare d’une croix ?

 

C’est le dernier chemin de notre court voyage,

L’écueil où nous restons au milieu du chaos,

Où le fossoyeur fait, comme un souffle d’orage,

       Voler la poudre de nos os.

 

Ainsi nous finissons ; – tout reste en son essence ;

Dieu nous rappelle à lui quand il veut et toujours ;

Sa main n’a pas besoin d’une sainte balance

       Pour savoir le poids de nos jours.

 

C’est que tout est compté, jusques aux grains de sable ;

Au regard du Très-Haut rien ne reste inconnu :

Il sait le temps passé, le temps impérissable,

       Et l’homme qui n’est pas venu.

 

Ainsi soit-il, mon Dieu ! Mon Dieu ! lorsque votre ange,

Qui de la vie éteint chaque jour le flambeau,

Viendra nouer à moi son aile comme un lange,

       Et me jeter dans le tombeau.

 

Dieu, laissez-moi ravir à l’autre vie une heure ;

Ramenez mon esprit au milieu de mes champs :

J’ai besoin d’écouter le poète qui pleure

       En créant de sublimes chants !

 

C’est que dans le poète est la grande pensée ;

C’est le miel qui toujours s’épand sur la douleur ;

Car votre voix, mon Dieu ! dans sa voix s’est placée

       Comme un parfum dans une fleur.

 

Mais quels rêves de fous, ah mon Dieu ! sont les nôtres !

Si l’âme va vers vous, elle reste avec vous ;

On perd le souvenir de la terre : et puis d’autres

       Naissent et meurent comme nous.

 

 

 

Clara FRANCIA-MOLLARD.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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