La face de l’homme

 

 

Déjà le sixième jour du temps

Déployait son manteau de pourpre

Sur les hautes forêts de cèdres ;

Passant le ruisseau le papillon aux ailes d’or

Venait se poser avec délice

Sur les branches du rosier.

 

Dans le miroir de l’onde brillait la perle ;

La blanche voile du cygne jetait son éclat

Dans les rochers ombreux.

Les grappes de raisin étaient de braise rouge ;

Innocente et tendre, la colombe jouait

Dans les bosquets d’Éden.

 

Mais il manquait encore à la nature

La plus haute beauté la création

N’avait pas encor sa couronne ;

Hors du limon, il fallait que l’homme

Levât son visage dans la lumière

Et regardât les cieux.

 

La neige des montagnes était sans couleur ;

L’aurore du matin derrière les coteaux

Peu à peu s’obscurcissait ;

Et l’étoile si belle au front du jour

Ne voulait plus y demeurer

Afin de fuir la terre.

 

Les bêtes s’inclinent en hommage

Devant ces yeux qui s’élèvent

De la poussière.

Là sourient grâces et amours.

Là brille entre les larmes

Un immortel espoir.

 

Étonné, le chœur des anges

Voit ces grâces éclatantes

Et contemple le Créateur –

Le Créateur mettant le sceau

À son œuvre et s’y mirant,

Souriant à son image.

 

Vous qui criez : Il n’est point d’âme,

Il n’est point d’âme dans les choses,

Tout n’est que poussière !

Insensés ! Penchez-vous sur la source,

Voyez votre visage, et taisez-vous

En cachant votre honte !

 

Voyez le front du vieillard sage,

Image de la vérité

Qui traverse les siècles,

Voyez le regard du héros,

Cette étincelle du sublime

Qui donne ses lois au monde.

 

Voyez le beau, le doux, le tendre

Ma Selma, lorsqu’elle s’éveille,

Son teint est celui de l’aurore !

Voyez ses yeux chastes et purs,

Ses noires boucles de cheveux,

Heureuses qui jouent dans le vent.

 

Ou suivez-la lorsqu’elle s’enfuit

Secrètement vers la chaumière

D’où s’élève une plainte.

Voyez l’âme à travers les larmes

Qui tombent de ses cils noirs,

Apparaître pour consoler.

 

Reflet du ciel en la nature.

Masque angélique chez les bêtes,

Ô visage de l’homme !

N’es-tu qu’un ornement mortel ?

Ne dois-tu pas sourire, ne dois-tu pas pleurer

Aussi dans l’immortalité ?

 

Oui, les anges seront émus

Quand ils accueilleront Selma

Et entendront sa voix.

Selma, dans les régions heureuses,

Selma, dans les vallées du ciel,

Je te verrai encore !

 

 

 

Frans Michael FRANZÉN.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie suédoise,

choix, traduction, introduction et notes

par Jean-Clarence Lambert, Seuil, 1971.

 

 

 

 

 

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