Renouveau

 

 

                              I

 

Il faisait froid. J’errais dans la lande déserte,

Songeant, rêveur distrait, aux beaux jours envolés ;

De givre étincelant la route était couverte,

Et le vent secouait les arbres désolés.

 

Tout à coup, au détour du sentier, sous les branches

D’un buisson dépouillé, j’aperçus, entrouvert,

Un nid, débris informe où quelques plumes blanches

Tourbillonnaient encor sous la bise d’hiver.

 

Je m’en souviens : – c’était le nid d’une linotte

Que j’avais, un matin du mois de mai dernier,

Surprise, éparpillant sa merveilleuse note

Dans les airs tout remplis d’arome printanier.

 

Ce jour-là, tout riait ; la lande ensoleillée

S’enveloppait au loin de reflets radieux ;

Et, sous chaque arbrisseau, l’oreille émerveillée

Entendait bourdonner des bruits mélodieux.

 

Le soleil était chaud, la brise caressante ;

De feuilles et de fleurs les rameaux étaient lourds...

La linotte chantait sa gamme éblouissante

Près de berceau de mousse où dormaient ses amours.

 

Alors, au souvenir de ces jours clairs et roses,

Qu’a remplacés l’automne avec son ciel marbré,

Mon cœur, – j’ai quelquefois de ces heures moroses, –

Mon cœur s’émut devant ce vieux nid délabré.

 

Et je songeai longtemps à mes jeunes années,

Frêles fleurs dont l’orage a tué les parfums ;

À mes illusions que la vie a fanées,

Au pauvre nid brisé de mes bonheurs défunts !

 

Car quelle âme ici-bas n’eut sa flore nouvelle,

Son doux soleil d’avril et ses tièdes saisons ?

Épanouissement du cœur qui se révèle !

Des naïves amours mystiques floraisons !

 

Ô jeunesse ! tu fuis comme un songe d’aurore...

Et que retrouve-t-on, quand ton rêve est fini ?

Quelques plumes, hélas! qui frissonnent encore

Aux branches où le cœur avait bâti son nid.

 

 

                              II

 

Et je revins chez moi, ce soir-là, sombre et triste...

Mais quand la douce nuit m’eut versé son sommeil,

Dans un tourbillon d’or, de pourpre et d’améthyste,

Je vis renaître au loin le beau printemps vermeil.

 

Je vis, comme autrefois, la lande, ranimée,

Étaler au soleil son prisme aux cent couleurs ;

Des vents harmonieux jasaient dans la ramée,

Et des rayons dorés pleuvaient parmi les fleurs !

 

La nature avait mis sa robe des dimanches...

Et je vis deux pinsons, sous le feuillage vert,

Qui tapissaient leur nid avec ces plumes blanches

Dont les lambeaux flottaient naguère au vent d’hiver.

 

Ô Temps ! courant fatal où vont nos destinées,

De nos plus chers espoirs aveugle destructeur,

Sois béni ! car, par toi, les tiges moissonnées

Peuvent encor revivre, ô grand consolateur !

 

Dans l’épreuve, par toi l’espérance nous reste...

Tu fais, après l’hiver, reverdir les sillons ;

Et tu verses toujours quelque baume céleste

Aux blessures que font tes cruels aiguillons.

 

Au découragement n’ouvrons jamais nos portes

Après les jours de froid viennent les jours de mai ;

Et c’est souvent avec ses illusions mortes

Que le cœur se refait un nid plus parfumé !

 

 

 

Louis FRÉCHETTE, 1869.

 

 

 

 

 

 

 

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