Hymne de la Vierge

 

 

Ouvrages éclatants que la Nature admire,

Tabernacles éloquents, trônes de son empire,

Astres, beaux ornements de la Voûte des Cieux,

Grands caractères d’or qui brillez à nos yeux,

Et qui nous racontez la gloire, et les merveilles

De l’Auteur nonpareil des choses nonpareilles ;

Rayons étincelants de la grandeur de Dieu ;

Véritables témoins qui parlez en tout lieu,

Et confondez l’orgueil des âmes incrédules

Qui font contre JÉSUS des sectes ridicules,

Que n’ai-je le bonheur d’entendre les concerts

Où vous rendez hommage au Roy de l’Univers ?

Que ne puis-je écouter la céleste harmonie

Par qui vous bénissez sa puissance infinie ?

Que ne m’est-il permis par de nouveaux transports

D’élever mon esprit jusques dans vos trésors ?

Je serais animé d’une divine flamme,

Et les Grâces du Ciel couleraient dans mon âme.

Mon cœur d’un plus beau feu deviendrait agité ;

Je verrais le séjour de l’immortalité ;

J’apprendrais comme il faut entonner les louanges

Que tout le Ciel consacre à la Reine des Anges,

Je chanterais son Hymne autour de ses autels ;

J’exciterais l’amour dans l’esprit des mortels,

Et ferais retentir en l’honneur de MARIE

La brillante vertu qu’elle a le plus chérie.

     Mais je sais ma faiblesse et combien mon dessein

Surpasse tous les feux que je porte en mon sein ;

Par un si grand sujet ma force est surmontée ;

Et d’un vol trop hardi mon âme est emportée.

Toutefois j’ai promis par un vœu solennel

De tracer en mes Vers son triomphe éternel.

Et peindre les grandeurs, et les dons magnifiques

Qui l’élèvent plus haut que les Chœurs Angéliques ;

Et lorsque j’ai promis je n’ai point consulté

Combien sur cette mer je serais agité,

Quels écueils inconnus empêcheraient ma course ;

Comment j’observerais les étoiles de l’Ourse,

Et qui dessus les flots par un heureux effort

Pourrai guider ma nef, et la pousser au port.

     Certes j’eus de l’audace, et je fus téméraire,

Lorsque me séparant des traces du vulgaire,

J’entrepris de louer celle dont les beautés

Ont fait voir dans le Ciel de nouvelles clartés.

Mais faut-il qu’un respect refroidisse mon zèle ?

Que des difficultés me rendent infidèle ?

Que je retienne un feu qui se veut exhaler ?

Et qu’enfin je me taise eus ai tant a parler ?

     Ô JÉSUS que j’adore a la droite du Père,

Ô JÉSUS, doux Sauveur en qui mon âme espère,

JÉSUS four qui mon cœur se consume d’amour

Ouvre mes faibles yeux à la clarté du jour.

Que tes divins regards dissipent mes ténèbres,

Que tes saintes faveurs rendent mes Vers célèbres,

Et qu’avec plus d’ardeur, et plus de majesté

Je bénisse en ton Nom les flancs qui t’ont porté.

Toi qui donnes la force à ceux que tu couronnes,

Et de frêles roseaux fais de fermes colonnes ;

Toi qui de ta parole as formé l’Univers ;

Toi qui nous as des Arts les secrets découverts,

Mon Seigneur, et mon Dieu, donne-moi le courage

De vaincre les écueils que je trouve au passage.

Retire mon esprit de ses obscurités ;

Fais briller tes rayons dans les difficultés ;

Et qu’épris d’un beau feu je puisse satisfaire

Par les grâces du Fils aux grandeurs de la Mère.

     Quel sera le sujet de mes premiers efforts ?

Et que dois-je choisir parmi tant de trésors ?

Irai-je rechercher dedans son parentage

De quoi faire éclater le front de cet ouvrage ?

Et four rendre son nom plus auguste à nos yeux,

Rappellerai-je au jour les noms de ses Aïeux ?

Dirai-je que son fang est du sang des Monarques ?

Et dedans les tombeaux chercherai-je des marques

Qui relèvent l’éclat d’une fécondité

À qui la terre doit l’Auteur de la clarté ?

Tous ces titres fameux que donne la fortune

Peuvent bien relever une vertu commune ;

Mais celle dont je veux honorer la grandeur,

Sur les êtres créés fait briller sa splendeur,

Autant que le Soleil relève sa lumière

Sur les autres flambeaux qu’il trouve en sa carrière

Ni la chair, ni le sang ne peuvent révéler

Les secrets merveilleux que je veux étaler ;

Et si Dieu ne m’instruit en de si grands mystères ;

S’il ne donne à mes vers les grâces nécessaires ;

Bref si je n’ai d’en-haut un secours tout divin,

J’écris dessus l’arène, et je travaille en vain.

     Il faut outrepasser les bornes naturelles

Que la nécessité donne aux choses mortelles ;

La Vierge dont ma plume ose imiter les traits

Surpasse la nature en ses divins attraits ;

Ses rares qualités, et ses grands avantages

Confondent la prudence, et la raison des sages.

Au point que sa belle âme infuse dans son corps

Donna le mouvement à ses tendres ressorts,

La Grâce du Seigneur la rendit pure, et sainte,

Et le péché d’Adam n’y donna point d’atteinte :

Elle ne sentit point le joug infortuné

Où l’homme est asservi devant que d’être né.

Dieu qui pour accomplir la voix de ses Oracles

Destinait cette Vierge à ses plus grands miracles,

Releva sa vertu sur toute autre vertu ;

Et le Serpent fatal à ses pieds abattu,

N’eut pas la liberté de faire agir contre elle

Les traits envenimés de sa langue mortelle.

Elle naquit sans tache, elle parut au jour

Comme un divin chef-d’œuvre de grâce et d’amour :

Elle fit admirer sa vertu plus qu’humaine ;

De rares qualités son enfance fut pleine,

Et le monde la vit dans une sainteté

Où pas un des mortels n’avait jamais été.

Elle avait surpassé la pureté des Anges ;

Ses œuvres s’élevaient au dessus des louanges ;

Dieu demeurait en elle, elle était toute en Dieu ;

Elle adorait son Nom en tout temps, en tout lieu,

Par son divin amour elle était enflammée ;

Son âme en cet amour était comme abîmée,

Et son cœur tout céleste offrait incessamment

Un hommage d’amour au Roy au firmament.

     En ses plus jeunes ans des Prêtres respectée

Au Temple du Seigneur elle fut présentée :

C’est là quelle fit vœu d’une virginité

Qui jeta ses rayons dedans l’éternité ;

Q est là qu’elle rendit ses grâces manifestes ;

C’est là qu’elle fit voir des actions célestes ;

C’est là que Dieu reçut autour de ses Autels

Les honneurs qu’on lui rend parmi les Immortels

Et ce fut là qu’il vit sa Grandeur révérée

Bien mieux qu’elle n’était dans le ciel Empyrée,

L’éclat de sa vertu brilla de toutes parts,

Sa prudence ravit les plus sages Vieillards,

Et le bruit de son Nom força même l’Envie

D’admirer la splendeur d’une si belle vie.

Le temps qui s’écoula d’un insensible cours

Fit avancer aussi la trame de ses jours :

Cette jeune Princesse aussi pure que belle

Dédaigne l’alliance où le monde l’appelle ;

C’est au Ciel que son cœur élève ses désirs ;

C’est au Ciel que son cœur recherche des plaisirs ;

C’est à Dieu seulement qu’elle veut rendre hommage ;

Sa belle âme répugne aux lois du mariage :

Israël toutefois l’y vit assujettir,

Les célestes décrets l’y firent consentir ?

Et parle Tout-puissant elle fut inspirée

De subir une loi qu’elle avait abhorrée.

     Certes sans murmurer cette Vierge suivit

Les sentiers inconnus que Dieu lui prescrivit ;

Mais elle eut un époux et si juste, et si sage

Qu’au vœu qu’elle avait fait il ne fit point d’outrage.

Joseph reçut de Dieu ce gage précieux

Qui mit en son pouvoir les délices des cieux :

Sous un joug innocent deux Vierges se rangèrent ;

À des soins mutuels deux Vierges s’obligèrent :

Ô sacré mariage où la Virginité

Se voua toute entière à la Divinité !

Merveilleuse union qui même avec usure

Rend la Virginité plus brillante et plus pure !

Que vos doux entretiens me donnent de transports !

Que je suis ébloui parmi tant de trésors !

Qui pourrait exprimer les grandeurs de MARIE ?

Quelle pompe de vers si belle et si fleurie

Suffirait à conter tant d’actes de vertu

Ou par l’humilité l’orgueil fut combattu ?

Plus je veux m’approcher d’une chose si sainte

Plus je sens naître en moi de respect, et de crainte ;

J’y remarque toujours de nouvelles beautés,

Et mes faibles regards trouvent trop de clartés,

     Tel qu’au plus beau des mois le sein d’une prairie

D’éclatantes couleurs se pare et se varie ;

Chaque Aurore y fait voir mille diversités ;

Les fleurs à tous moments naissent de tous côtés,

Et leur émail flottant en sa vive peinture

Présente au jour naissant les dons de la nature ;

Ou plutôt on dirait que tant d’objets si beaux

Rappellent le Soleil de l’abîme des eaux.

     Telle on vit cette Vierge à nulle autre seconde

S’environner de gloire, et ravir tout le monde :

Toujours de ses vertus le nombre s’augmentait ;

Toujours de plus en plus sa lumière éclatait ;

Tant de perfections l’une à l’autre enchaînées ?

Avaient prévenu l’âge, et l’ordre des années ;

Le Ciel avec amour considérait ses pas,

Et se laissait charmer par ses divins appas,

Dieu même fut touché des traits de son image,

Et ce sage Ouvrier se plut en son ouvrage ;

Les beautés d’une Vierge arrêtèrent ses yeux ;

L’odeur de ses parfums s’éleva jusqu’aux cieux ?

Et fit résoudre un Dieu de quitter son tonnerre

Pour venir de son trône au plus bas de la terre.

     C’est en elle que Dieu se veut manifester ;

Elle est le Sanctuaire où Dieu veut habiter ;

Elle est le firmament ou Sa divine essence

Renferme les trésors de sa Toute-puissance.

C’est en ses chastes flancs qu’il avait ordonné

Que son Verbe éternel devait être incarné,

Et c’est par son moyen que les Gentils trouvèrent

Celui que comme Auteur tous les siècles révèrent ;

Celui qui les devait affranchir des enfers :

Celui de qui le nom devait rompre leurs fers ;

Celui qui par sa mort environné de gloire

Devait sur les Démons emporter la victoire,

     Ô Sagesse de Dieu que ton pouvoir est grand !

Loi que l’Amour a faite, et que la foi m’apprend,

Actes surnaturels, ineffables mystères,

Que vous êtes brillants, et doux, et salutaires !

Certes je sens tarir la source de mes vers

Parmi tant de trésors qui me sont découverts ;

La nature ni l’art, par de pénibles veilles

Ne peut représenter de si hautes merveilles.

     Pure flamme d’amour, vivante Charité

Qui nous remplis de biens par ta fécondité,

Esprit Saint donne-moi la force et le courage,

Fais-moi servir d’organe à ton divin langage ;

Épure mes pensers qui craignent d’approcher

De l’Arche d’alliance où le Verbe prit chair :

Sage Dispensateur des richesses divines,

Ôte ces belles fleurs du milieu des épines ;

Fais naître en mon esprit de nouvelles ardeurs,

Et rassure mes sens parmi tant de grandeurs ;

Fais, grand Dieu, que ta flamme en mes veines s’allume,

Et toi-même conduis et ma langue et ma plume.

     Vous qui portez au cœur de l’incrédulité ;

Vous qui ne vous plaisez que dans l’impureté,

Et qui tout possédez d’affections humaines

N appliquez vos esprits qu’à des sciences vaines,

Troupe aveugle et profane, éloignez-vous de moi ;

Je parle d’un mystère où doit régner la Foi,

Je parle d’un mystère où la Bonté suprême

Épuise ses trésors, et se donne elle-même.

Je parle d’un mystère où la Divinité

Se couvre du manteau de notre humanité :

Où Dieu s’anéantit, et se fait créature ;

Où Dieu prend des pécheurs la forme et la figure ;

Où le sein d’une Vierge enclot dans son pourpris,

Celui qui par les Cieux ne peut être compris.

Je parle d’un mystère où le monde voit naître

Un Monarque éternel dont il a reçu l’être :

Je parle d’un mystère ou la maternité

Ne ternit point l’éclat de la Virginité.

     Le Père Tout-puissant, dont la sainte parole

Fait ouïr ses accents de l’un à l’autre Pôle,

Et des bords d’Orient jusqu’aux bords reculés

Où le Soleil descend dessous les flots salés ;

Ce Père Tout-puissant, dont le monde est l’ouvrage,

Fît porter à MARIE un céleste message :

Un Ange aux ailes d’or par les airs transportés,

Et comme d’un manteau revêtu de clarté,

Vint dedans Nazareth, ville de Galilée,

Où du Temple de Dieu la Vierge était allée.

Il respecte l’enclos de son heureux séjour ;

Il voit, pour la garder, des Anges à l’entour ;

Il entre, il la salue, il parle, il lui révèle

Le mystère que Dieu veut accomplir en elle.

Son langage d’abord l’étonne, et la surprend,

Elle pense en soi-même à l’honneur qu’on lui rend ;

Mais l’Ange du Seigneur que le Zèle transporte,

Rassure son courage, et poursuit de la sorte.

     Ne craignez point, dit-il, vous dont le Tout-puissant

Veut honorer les mains d’un Sceptre florissant ;

Vous que devant les temps il a prédestinée

Pour être de sa gloire à jamais couronnée ;

Vierge pleine de grâce, et de fécondité,

De vous doit naître un Fils rempli de sainteté ;

Son nom sera JÉSUS, il aura Dieu pour Père ;

Son pouvoir lui rendra toute chose prospère ;

Au trône de David Dieu l’établira Roi ;

La maison de Jacob fleurira sous sa loi ;

Il erra sa Grandeur des peuples révérée,

Et son règne sera d’éternelle durée.

     De quelle sainte ardeur son cœur fut-il épris,

Et combien de douceurs ravirent ses esprits,

Lorsque la voix de l’Ange, en merveilles féconde,

Lui prédit le repos, et le salut du monde ?

Ô que cette belle Âme eut de divins transports !

Et que le Ciel se plut d’y verser ses trésors !

Que dans ce beau séjour la Vertu fut brillante !

Que la Grâce rendit cette Vierge éclatante !

Que parmi tant de gloire elle eut d’humilité !

Que de pompe fut jointe à la simplicité !

Elle est aux lois de Dieu parfaitement soumise,

Elle connaît l’honneur dont il la favorise ;

Son esprit toutefois saintement curieux,

Devant que de répondre au message des Cieux,

Désire de savoir comment il se peut faire

Qu’une Vierge ait le bien d’accomplir ce mystère,

Une Vierge qui fuit les innocents plaisirs

Dont un saint mariage a permis les désirs.

Mais si tôt qu’elle apprit le bel ordre des choses

Que dans sa prescience un Dieu tenait encloses ;

Comment sans intérêt de sa Virginité

Ce dessein merveilleux serait exécuté ;

Et que du Saint Esprit la présence adorable

Lui ferait concevoir ce Fils incomparable ;

Qu’elle eut de promptitude à découvrir au jour

Les sentiments d’un cœur plein de zèle et d’amour !

Et qu’elle répondit d’une voix assurée,

À servir le Seigneur me voici préparée ;

Que selon ta parole il s’accomplisse en moi.

Cet Ange fut ravi d’une si grande foi,

Et le Seigneur se plut de rencontrer en elle,

Une âme si soumise, et si pure, et si belle.

Ô merveille ! à l’instant le Verbe se fit chair ;

De nos infirmités Dieu daigna s’approcher ;

Une Vierge conçut, une Vierge fut mère ;

Dieu voulut conserver parmi notre misère,

Et les flancs de MARIE enfermèrent celui

Qui de tout l’Univers est le puissant appui.

     Mais pourrai-je suffire à chanter des louanges

Qui ne résonnent bien qu’en la bouche des Anges ?

Où m’emporte l’ardeur ? qu’est-ce que j’entreprends ?

Pourrai-je réciter tant d’actes différents ?

Louer tant de vertus ? dire tant de miracles ?

Conter les vérités qu’annonçaient tant d’oracles ?

Une seule action demande tous mes vers ;

Et de tant de trésors qui me sont découverts,

Le moindre m’éblouit de sa vive lumière,

Et ne me permet pas d’achever ma carrière.

Ô Muse, élève-toi d’un vol plus modéré ;

Le médiocre état est le plus assuré :

Ne prends point une charge où ta force succombe ;

Crains un profond abîme où le superbe tombe ;

Ménage le beau feu qui t’anime à chanter ;

Vois les difficultés que tu dois surmonter,

Et regarde sous toi les gouffres effroyables

Que des audacieux ont rendu remarquables.

Tu manques de vigueur pour un sujet si haut,

Et le désir abonde où le pouvoir défaut.

Respecte la grandeur à qui tu rends hommage ;

Regarde ses rayons au travers d’un nuage,

Et ne t’avance pas avec témérité

Où brille tant de gloire, et tant de majesté.

Par un dévot silence honore des merveilles

Qui surpassent l’effort des plus pénibles veilles.

Si chez Élisabeth l’ardeur te fait aller,

Qu’un timide respect t’empêche de parler ;

Écoute les transports d’un esprit prophétique ;

Apprends-y l’art sans art d’un merveilleux cantique

Où la Mère de Dieu par son humilité

Rend un parfait hommage à là Divinité ;

Où la Mère de Dieu nous annonce elle-même

Les dons qu’elle a reçus de la Bonté suprême.

Visite Bethléem, viens adorer le lieu

Où dans la pauvreté naquit le Fils de Dieu ;

Consacre-lui ton cœur, sois soumise, et révère,

Par tes ravissements et l’Enfant, et la Mère.

Aux pieds de mon JÉSUS vois des Rois étrangers,

Qu’une Étoile a conduits au milieu des dangers.

Vois de simples Pasteurs à l’entour de MARIE ;

Ils quittent pour son Fils et parc et bergerie ;

Ils bénissent son nom d’un cœur dévotieux,

Et les airs redoublés qu’ils poussent jusqu’aux cieux,

Font partout retentir et le zèle et la joie

Qu’ils ont pour tant de biens que le Ciel leur octroie.

Sur leurs pas amoureux, répète leurs chansons ;

Et répands dedans l’air mille agréables sons,

Admire cette Mère heureusement seconde

Qui produit le repos, et le salut au monde.

Elle demeure Vierge après l’enfantement ;

La nature la voit avec étonnement ;

La nature s’égare en de si hauts mystères,

Et ne peut accorder des choses si contraires.

     Comme sur la montagne un buisson enflammé

Entretenait le feu sans être consumé,

Et parmi les ardeurs des flammes ondoyantes

Gardait en leur fraîcheur ses feuilles verdoyantes.

Ainsi parmi l’horreur d’un siècle dépravé,

L’éclat de sa vertu fut toujours conservé ;

Cette Vierge choisie entre les créatures,

Avait le cœur rempli de grâces toutes pures :

Et le don glorieux de la maternité

Ne fit aucune brèche à sa virginité.

     Ô Mère des vivants, Vierge sainte, et sacrée,

Dont le nom révéré m’enflamme, et me recrée,

Et dont la Sainteté produit un nouveau jour

Qui me comble de joie, et me remplit d’amour ;

Fille du Roi des Rois que vous fûtes ravie

D’avoir donné la vie à l’Auteur de la vie !

Que votre âme sentit de célestes plaisirs

De voir entre vos bras l’objet de ses désirs !

Un merveilleux Enfant dont la feule puissance

Tient la terre, et le ciel dedans l’obéissance !

Un merveilleux Enfant qui plein de majesté,

De la mer, et des vents est craint, et respecté !

Vous allaitiez celui qui par sa providence

Nous fournit d’aliments en si grande abondance ;

Vous allaitiez celui sans qui le firmament

Ne se peut maintenir, ni durer un moment.

On vit croître JÉSUS dessous votre conduite,

Le long des bords du Nil ou vous prîtes la fuite,

Fuite qui fit trembler les puissances d’enfer,

Fuite dont tous les pas vous faisaient triompher,

Fuite dont la vertu par de fameux miracles,

Fit tomber les faux Dieux, et taire leurs Oracles.

Vous conduisiez celui qui régit l’Univers,

Qui fait que les printemps succèdent aux hivers ;

Qui dans la vive ardeur des chaleurs véhémentes

Couronne les Étés de moissons jaunissantes,

Et qui donne aux mortels ces fruits délicieux,

Dont l’Automne nous flatte, et nous charme les yeux.

La Sagesse éternelle était sous votre empire ;

Vous gouverniez celui qui fait que tout respire,

Et qui sous le manteau de notre humanité

Avait caché l’éclat de sa Divinité.

     Mais insensiblement j’avance, et je m’engage,

Dans les difficultés d’un périlleux voyage :

J’abandonne le port où j’étais arrivé ;

Je retourne aux écueils dont je m’étais sauvé,

Et mon faible vaisseau va sur des mers profondes

Lutter contre les vents, et combattre les ondes.

     Ô Vierge immaculée, Arche de sainteté

Qui maîtrise les flots dont l’homme est agité,

Et renfermant celui qui commande aux étoiles

Sans craindre de périls voguiez à pleines voiles,

Ô Mère de JÉSUS qui tenez le milieu

Entre notre bassesse et la grandeur de Dieu,

Un trop fertile objet rend ma plume infertile,

Et je sens défaillir les forces de mon style :

Parmi tant de ruisseaux je demeure altéré,

Au milieu des clartés je me fuis égaré,

Et de tant d’actions d’éternelle mémoire

Je ne puis exprimer les grâces ni la gloire.

     Quelqu’autre transporté d’une plus vive ardeur

Fera de vos vertus paraître la splendeur :

Il déduira le cours de votre illustre vie

Qui triomphe des temps, qui fait taire l’Envie ;

Il fera le récit des belles actions

Qui vous font dominer sur tant de nations,

Et par les traits dorés d’une histoire si sainte

Il rendra votre image en nos cœurs plus empreinte.

Mais, ô Vierge sacrée, il ne suffira pas,

Qu’il découvre à nos yeux tant de divins appas ;

Tant de grâces du ciel dont vous fûtes remplie ;

Une vertu sans tache, une gloire accomplie.

Il faudra que son art par de vives couleurs

Représente l’horreur de vos âpres douleurs ;

De quel glaive tranchant votre âme fut atteinte,

Quand du sang de JÉSUS Jérusalem fut teinte,

Et quand ce bien-aimé par un excès d’amour

Voulut fermer ses yeux à la clarté du jour.

Certes c’est un ouvrage où nos forces languissent ;

Où sous un voile épais nos clartés s’obscurcissent ;

Où la raison se perd, où l’art s’évanouit ;

Où parmi tant d’objets notre âme s’éblouit.

     Comme après que l’hiver d’une superbe audace

A fait couler les eaux dessous un frein de glace ;

A répandu partout la rigueur de ses lois ;

A ravi les beautés des plaines et des bois ;

Une saison plus douce à toute la Nature

Fait revoir aux mortels les fleurs, et la verdure ;

Remet en liberté le courant des ruisseaux ;

Repeuple nos forêts de feuilles, et d’oiseaux ;

Ramène les plaisirs, et les jeux avec elle,

Et redonne à la terre une robe nouvelle.

     De même âpres les maux que vous avez soufferts

Après les vains efforts du Prince des enfers

Qui des Juifs attisait la fureur, et la haine,

Et remplissait d’horreur une ville inhumaine ;

On verra succéder les plaisirs aux tourments,

Et les chants d’allégresse aux longs gémissements.

La gloire du triomphe où les Anges vous virent

Lorsque dedans le Ciel vos désirs s’accomplirent,

Lorsque Dieu vous remplit de tant de majesté,

Et vous environna de pompe, et de clarté ;

Les caresses d’un Dieu dont vous êtes la Mère ;

Les applaudissements dont le Ciel vous révère ;

Ces astres lumineux qui vous ceignent le front,

Et qui dans l’Empirée à jamais brilleront ;

Enfin l’autorité que Dieu vous a donnée,

Quand de ses propres mains vous fûtes couronnée ;

Le sceptre merveilleux qu’il mit entre vos mains ;

Les grâces que par vous il prodigue aux humains,

Et tant d’autres trésors si remplis de lumière

Ouvriront aux beaux vers une illustre carrière ;

Un champ délicieux qui sans cesse produit,

Et ne manque jamais ni de fleurs ni de fruit.

Vierge sainte on dira que l’humaine pensée

Ne peut atteindre aux lieux où Dieu vous a placée ;

Que dans ce même corps qui fut immaculé

Votre âme règne au Ciel sur un trône étoilé,

Et s’abreuve à longs traits de cette onde sacrée

Où la Cité de Dieu se plaît, et se recrée.

Que de là vous voyez les besoins des mortels,

Qu’un dévot culte assemble à l’entour des Autels.

Là votre main s’occupe à détourner la foudre

Dont Dieu se préparait de nous réduire en poudre ;

Vous abaissez le bras qu’il avait élevé ;

Vous rappelle celui qui semblait reprouvé.

C’est vous qui consolez l’esprit des misérables ;

Vous répandez sur eux des regards favorables ;

Vous supportez le faix qui nous est imposé ;

Par vous des Aquilons l’orage est apaisé,

Et vos saintes douceurs détrempent l’amertume

Des soins, et des ennuis dont un cœur se consume.

     Refuge des pécheurs, port où les matelots

Se trouvent à l’abri des écueils, et des flots ;

Étoile de la mer dont les clartés brillantes

Ont redressé le cours des navires errantes ;

Vierge toujours propice au salut des humains,

J’élève devers vous, et mes yeux, et mes mains,

Et j’implore votre aide au fort de la tempête

Que de fiers ennemis dont pleuvoir sur ma tête.

Rendez-vous secourable aux pleurs d’un affligé :

Que d’un si lourd fardeau je me trouve allégé :

Offrez à votre Fils, et mon cœur, et mon âme,

Faites-les embraser d’une divine flamme :

Malgré tous les Tyrans faites qu’un pur Amour

Par de plus justes lois y domine à son tour.

Trône du Roi des Rois, beau séjour d’une Grâce

Qui brille sans rivale, et jamais ne se passe,

Sentier toujours fleuri, canal mystérieux

Par où le Verbe enfin est descendu des Cieux ;

Vous que les bienheureux reconnaissent pour Reine ;

Beauté qui produisez la Beauté souveraine,

Bel Astre du matin d’où sort un beau Soleil

Qui fait jouir nos yeux d’un gracieux réveil ;

Mère de la clarté qui dissipe nos ombres,

Et rappelle le jour dans les lieux les plus sombres,

Moyennez une paix entre JÉSUS et nous,

Que la miséricorde apaise son courroux :

Priez, pressez, forcez, rendez-nous Dieu propice ;

Offrez à sa Grandeur nos vœux en sacrifice.

De même que par vous il nous a visités,

De même que par vous il répand ses bontés,

Et nous vient revêtir d’une robe nouvelle

Pour entrer au banquet où sa voix nous appelle :

De même c’est par vous qu’il faut aller à lui ;

C’est par vous qu’on impêtre un si puissant appui.

Et que rempli d’amour, de ferveur, et de zèle

Un cœur s’unit à Dieu d’une chaîne éternelle.

     Ô Reine des Vertus dont les bienfaits divers

Par de divins transports ravissent l’Univers,

Et chez les nations par vous favorisées

Nous montrent que vos mains ne sont pas épuisées ;

Mère de mon JÉSUS, dissipez nos ennuis ;

Faites cesser l’horreur de nos profondes nuits,

Prenez en votre garde un peuple qui soupire,

Et réclame en ses vœux les biens de votre Empire ;

Vierge, favorisez de l’un de vos regards

Un peuple qui combat dessous vos étendards ;

Patronne de la France, ayez soin de la France,

Faites qu’elle ait le fruit de sa sainte espérance.

Depuis que notre Roi par un vœu solennel

S’obligea de vous rendre un honneur éternel,

Et que vous soumettant son sceptre, et sa couronne,

II fit hommage aussi de sa propre personne ;

Vos grâces surmontant toutes difficultés

Ont redoublé le cours de ses prospérités ;

Ses armes ont dompté des forces indomptées ;

La France a vu plus loin ses bornes transplantées ;

Notre Roi triomphant de tous ses ennemis

Fait voir à ses États d’autres États soumis.

Jamais les fleurs de Lys n’ont plus reçu de gloire ;

Vous leur avez donné victoire sur victoire ;

Succès dessus succès, bonheur dessus bonheur ;

Le règne de LOUIS est tout rempli d’honneur.

Le seul bruit de son nom apaise les tempêtes,

Et fait de toutes parts de nouvelles conquêtes.

Ce grand Prince est vainqueur, et triomphe partout,

Et n’a point de desseins dont il ne vienne à bout.

     Ainsi toute l’Europe admire en ses hauts gestes,

Du Ciel qui le conduit les grâces manifestes :

Elle voit nos combats avec étonnement,

Les peuples sont troublés de notre accroissement,

Et dans cet heureux siècle on compte nos années

Par des prospérités l’une à l’autre enchaînées.

Mais si pour accomplir tant d’illustres bienfaits

Vous obteniez la paix du Prince de la paix,

Et traînant après vous la Discorde captive

Vous joigniez nos lauriers à des branches d’olive,

Alors, ô Vierge, alors, au milieu des plaisirs,

La France aurait l’effet de ses justes désirs,

Et l’on ne verrait plus le flambeau de la guerre,

Consumer les humains, et désoler la terre ;

Et l’on ne verrait plus les temples ruinés,

Et le feu triompher des autels profanés.

     Mère du bel Amour, ramenez le Concorde ;

Ouvrez-nous les trésors de la miséricorde ;

Faites qu’un feu divin s’allume dans nos cœurs,

Et vienne mettre fin à toutes nos langueurs ;

Gardez notre Monarque, et soyez toujours prête

À sauver des périls une si chère tête.

Bénissez du Dauphin l’heureux commencement ;

Et que ce jeune Prince ait un double ornement ;

Qu’il soit le vif portrait des vertus de son Père,

Qu’il ait la piété qui reluit en sa Mère ;

Devant que de régner dessus les nations,

Qu’il apprenne à régir ses propres passions.

Versez incessamment d’une main libérale

Vos dons, et vos faveurs sur la maison royale ;

Et que d’un si grand fleuve il sorte des ruisseaux

Qui répandent partout leurs agréables eaux.

     Astre qui présidez à tous ces lieux champêtres ;

Secours miraculeux de nos pieux Ancêtres ;

Vierge qui de si loin attirez les mortels

Pour implorer votre aide à l’entour des autels ;

J’entre dedans le Temple où d’un culte ordinaire

Sous le nom des Vertus le monde vous révère :

J’entends un doux concert d’un million de voix ;

Je vous entends nommer Mère du Roi des Rois ;

Je sens mon cœur épris d’une flamme nouvelle,

Une céleste ardeur à vous louer m’appelle ;

Je consacre cette Hymne à la félicité

Qui remplit de splendeur votre immortalité :

Ayez à gré des vers où je vous rends hommage,

Et que je viens soumettre au pied de votre Image ;

Ayez a gré des vers que le zèle a formés,

Et qu’un divin amour a pour vous animés.

Ô Vierge, recevez mes vœux, et mes prières ;

Éclairez mon esprit de vos belles lumières :

Comme Mère de Dieu montrez-moi comme il faut

Élever mes désirs vers un sujet si haut ;

Comme il faut contempler ses divines merveilles ;

Faites que son honneur soit la fin de mes veilles,

Et ne permettez pas que je sois enchanté,

Des charmes du mensonge, et de la vanité.

 

 

 

Nicolas FRENICLE, Hymne de la Vierge, 1641.

 

 

 

 

 

 

 

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