Intermezzo
FRAGMENTS
Sois belle, ô mon amie, pour que je souffre davantage ;
Pour que, plus près du ciel,
Mes mains se tendent vers l’inaccessible ;
Pour que le chant des anges
Me rende plus cruelle
La solitude humaine ;
Pour que je sache mieux que le bonheur est vain,
Et que joie et souffrance,
L’une à l’autre mêlées,
Ne sont qu’un même appel vers le divin.
*
* *
La beauté monte dans mon âme,
La beauté, aurore de ma vie.
Que tu fus longue à venir,
Déesse, grâce du ciel !
Que tu fus longue à attendre !
Tu n’es point jeune, Aphrodite !
Comme un fruit mûr, tu tombes de ma vie.
Salut, pourtant Bienfaitrice,
Créatrice,
Baiser de Dieu...
Monte à mon firmament, étoile du bonheur !
*
* *
Dis-moi les mots délicieux,
Diamants, perles et rubis,
Que tes lèvres savent dire.
Les mots rares et précieux,
Qui, tels des joyaux,
Ruissellent joyeux.
Sous l’averse heureuse,
Mon âme, étonnée,
Tremble de bonheur...
Redis-les-moi, les mots charmante,
Perles, rubis et diamants.
*
* *
Si Dieu n’avait pas mis
Les fleurs dans la nature,
Ni l’azur transparent,
Ni l’herbe verte et tendre,
Ni les petits agneaux
Qui broutent dans les prés ;
Ni le rayon qui chante
Ni le vent qui murmure,
Combien je serais pauvre
Pour dire que je t’aime !
*
* *
Oh ta beauté !
Le baume de mes membres las,
Oh ta beauté !
L’aliment de mon âme,
Oh ta beauté !
Le chant de mon sommeil,
Oh ta beauté !
Le rythme de mon pas,
Oh ta beauté !
La force de ma joie
Et l’ambroisie de mon amour.
*
* *
Je veux être belle,
Pour que tu le sois.
Ma beauté, n’est-ce pas ton sourire ?
Ton sourire, n’est-ce pas ta beauté ?
Et ta beauté, voilà tout mon bonheur.
*
* *
Ah ! qu’ils sont durs les sanglots
Qui ne veulent pas monter ;
Qu’ils sont douloureux, les sanglots.
Qui ne veulent pas parler.
Ô larmes de mon âme !
Pourquoi ne coulez-vous pas ?
Ne savez-vous pas votre puissance ?
Où vous tombez, se lèvent des célestes fleurs !
Où vous brillez, se mouille le doux sourire
De la compassion.
Coulez, mes larmes, et délivrez mon cœur,
Pleurez, mes yeux, et délivrez mon âme !
Ah ! qu’ils sont cruels les sanglots qui s’arrêtent,
Ah ! qu’ils sont douloureux, les sanglots
Qui ne peuvent pas s’échapper !
*
* *
Ma tristesse est profonde,
Muette et prisonnière,
Et, comme en un tombeau,
Repose mon amour.
Les fleurs s’ouvrent et se fanent,
Le sourire s’allume et s’éteint,
Les oiseaux chantent et se taisent,
L’hirondelle vient et s’en va,
Et la tristesse ne fuit pas.
Hôte mélancolique et mal venu,
Que veux-tu faire en mon logis ?
Viens-tu porter le deuil et le mensonge,
Viens-tu porter la mort à mon bonheur ?
Reste, si tu le veux,
Assieds-toi sous ma porte.
Dieu t’envoya pour vaincre mon orgueil.
Prends place, sombre messagère !
Où tu demeures, les couleurs pâlissent,
Et toute joie s’évanouit.
Messagère de Dieu, prends place cependant :
Ton maître trouvera sa servante fidèle.
Voici mes yeux, mon front, mes lèvres, ma pensée.
Et laisse mes deux mains te serrer sur mon cœur.
Claudine FUNCK-BRENTANO.