Ballade des purs artistes

 

 

Ô bons chanteurs que la couronne attire,

Chanteurs épris du rythme et du laurier,

Vous imposant un stérile martyre,

Vous vous tuez, amis, à marier

Les rimes d’or du parfait ouvrier.

Vous restez là, dans ces angoisses vaines,

À consumer la sève de vos veines.

On a tout dit, en mots harmonieux,

Dans les vers grecs ou les odes romaines !

– L’art est divin, mais la lutte vaut mieux.

 

Quand vous avez bien fini de décrire,

De soupeser les mots, de les trier,

Vous vous plaignez de n’avoir rien à dire !

La Muse est lasse ; elle se fait prier ;

Pégase dort sous les coups d’étrier.

Et, tout autour, dans ces immenses plaines,

Suivant son rêve ou ruminant ses haines,

L’humanité brise ou cherche des dieux,

Pleure, frémit, se débat sous les chaînes...

– L’art est divin, mais la lutte vaut mieux.

 

Que de maisons, sans joie et sans sourire,

Avec la faim pour hôtesse au foyer !

Combien d’esprits que le doute déchire !

Et la patrie est là, qui va plier

Sans même avoir la force de crier.

Oh ! la terreur dont les âmes sont pleines !

Savons-nous bien, Destin, où tu nous mènes ?

Il nous faudrait, pour attendrir les cieux,

Des bras virils et des âmes hautaines.

– L’art est divin, mais la lutte vaut mieux.

 

                                    ENVOI

 

Princes de l’art, vous qui mettez vos peines

À parader devant les Célimènes

En ciselant des vers mélodieux,

Retrempez-vous dans les douleurs humaines :

– L’art est divin, mais la lutte vaut mieux.

 

 

 

Charles FUSTER.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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