Aux poètes
I
Poètes, dans ce siècle, aux instincts rabaissés,
Vous voulez, par le rythme, échapper à la brute.
Les instruments sont là, clairon, guitare, flûte,
Harpe, lyre : – à présent, poètes, choisissez.
Chanter pour soi, c’est bien ; mais ce n’est point assez.
Ne fût-ce qu’un seul jour, une heure, une minute,
Il faut mêler sa voix aux clameurs de la lutte
Et prolonger un cri dans les échos lassés.
La flûte de cristal, mélodieuse, fine,
Module avec tendresse une phrase divine ;
La harpe dit sa peine aux ombres de la nuit ;
La lyre est un orgueil, la guitare est un charme ;
Mais ce qui transfigure, exalte, émeut, conduit,
C’est le clairon tragique et vibrant, – presqu’une arme !
II
Donc, hardi ! les amis ! Embouchez le clairon !
N’imitez pas les tours d’un Crispin qui se grime,
Mais que votre pensée, asservissant la rime,
Fasse obéir les mots à grands coups d’éperon.
Ayez le vers sonore, ayez-le ferme et prompt ;
Effrayez la sottise, épouvantez le crime ;
Et, lorsqu’on souille Dieu, la femme, l’art sublime,
La patrie, – au secours ! et vengez cet affront !
Alors la multitude attentive, charmée
D’entendre résonner un chant dans la fumée,
Mènera la bataille avec plus de fierté.
Les blasés, en riant, vous traiteront d’apôtres.
Soit. Vous aurez vécu, car vous aurez chanté,
Mais chanté comme on lutte, en hommes, pour les autres !
Charles FUSTER.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.