Religioso
Le soir, être assis à sa table,
Écrire des vers de son mieux ;
Faire de son cœur, de ses yeux
Un temple tout harmonieux
Que l’on offre au Maître des cieux,
Qu’il accepte, et trouve habitable,
Oh ! la douceur ! oh ! la fierté
Qui vient transfigurer un être !
Trop heureux qui peut la connaître,
Voir quelquefois réapparaître
L’heure de trembler comme un prêtre
Recueilli devant la Beauté !
Mon art n’est qu’effort misérable ;
Mais je me suis mis à genoux,
Suppliant un plus grand que vous
De m’être indulgent et très doux,
De me dicter enfin, pour tous,
Une page forte et durable.
Humblement adressée au ciel,
Ma prière est-elle exaucée ?
Il me semble que ma pensée,
Sans savoir comment, s’est haussée,
Heureux, calme, fiancée
À quelque chose d’éternel.
L’inspiration magnanime
Va peut-être descendre en moi.
Si je ne devinais pourquoi
Me saisit un pareil émoi,
Je serais tout glacé d’effroi...
Mais non. C’est l’extase sublime.
Je vais donc vous devoir, Seigneur,
La grande ivresse, la plus belle,
Celle que tout poète appelle,
Qui fuit, dédaigneuse et rebelle :
Être la vivante chapelle
Priant au sommet du bonheur.
Oh ! si peu que ce rayon dure,
Il me laissera, pauvre enfant,
Plus grave encor que triomphant,
Libéré du doute étouffant,
Et ce souvenir réchauffant
Saura fondre toute froidure !
Le temps d’un éclair dans la nuit,
J’aurai vécu mes destinées,
Utilisé tant de journées,
Ennobli toutes les années
Qui par Dieu me furent données
Pour que l’arbre portât son fruit.
Le fruit, ce soir, est mûr peut-être :
Je vais donc, si Dieu le veut bien,
Trouver un rythme aérien,
À son souffle ajouter le mien.
Faire quelque chose avec rien,
Aider un peu de vie à naître.
La passion d’une âme en feu.
Désormais sera satisfaite :
De ma vie atteignant le faîte,
J’aurai connu ma grande fête,
Un soir, du moins, été prophète
Et porte-parole de Dieu !
Charles FUSTER, Toutes les extases.
Paru dans L’Année poétique en 1906.