Avril

 

 

                                       I

 

Les fleurs ont émaillé les sentiers verdoyants,

Et les rayons des cieux plus doux, plus souriants,

        Caressent la terre féconde :

L’herbe pousse touffue au bord des fraîches eaux,

Et Narcisse au cristal des limpides ruisseaux

        Mire déjà sa tête blonde.

 

Viens ! j’ai vu du printemps les ardents messagers,

J’ai vu les fils de l’air, échanger des baisers

        Dans la plaine et sur les collines ;

Le rossignol prélude aux chants mélodieux,

Demain son cri d’amour élancé vers les cieux

        Animera les aubépines ;

 

Viens aimer dans les champs, viens aimer sous le ciel,

Viens ; dans le bois profond, sous l’azur éternel,

        Où l’âme a l’âme est plus unie,

Viens ; tout nous dit d’aimer, la fleur et le soleil :

Que serait le printemps sans ce rêve vermeil ?

        Sans l’amour que serait la vie ?

 

Les enfants de ce siècle épris du noir séjour

Ont l’horreur de cette aube éclatante, l’amour,

        Et n’ont de voix que pour maudire.

Ils suspendent leur lyre à tous les vents de mort ;

Des baisers du matin la mienne tremble encor ;

        Je sais aimer et veux le dire !

 

Clarté douce et divine, astre qui nous a lui,

Dissipe de ces fous l’ambitieux ennui,

        Montre-leur l’azur sur leurs têtes ;

Ô nature immortelle, ils n’ont pas vu l’essaim

Qui boit l’antique ivresse aux sources de ton sein,

        Qui chante et s’enivre à tes fêtes !

 

Hélas ! ils vont sans voir le profond firmament,

Où les regards divins brillent incessamment

        Dans des myriades d’étoiles ;

Et le globe aux rayons des suprêmes ardeurs

Étalant ses trésors, les épis et les fleurs,

        Les charmes de son sein sans voiles ;

 

Les monts ; les grandes eaux, mystérieux séjours ;

Les vigoureux enfants des premières amours ;

        Les cèdres, les chênes énormes ;

Et les êtres en foule au plaisir éveillés,

Chaînons harmonieux, l’un à l’autre liés,

        Tous les concerts, toutes les formes.

 

 

                                       II

 

Ainsi depuis le jour où tu me fis aimer,

Dans ma coupe joyeuse il n’est plus rien d’amer,

        Et j’oublie en mon allégresse

Que dans toute existence il est de noirs instants,

Des jours déshérités de rayons éclatants,

        Qu’il est une sainte tristesse !

 

Que moi-même longtemps, j’ai maudit, j’ai pleuré ;

Et marchant au hasard, sombre et désespéré,

        Faisant éclater le blasphème,

J’ai dit : Non, Dieu n’est point ; s’il est, il est cruel,

Et cet univers va dans le vide du ciel

        Sans but et sans guide suprême !

 

Mais je sais maintenant ; j’ai saisi dans ma nuit

Cet échelon divin qui monte jusqu’à lui,

        Et dont l’ombre ici-bas s’éclaire :

Oh ! tout puissant amour ! ce doux rayon de feu

Qui fait croire au bonheur, et qui fait croire à Dieu,

        Épanche-le sur leur misère.

 

 

 

P.-Jean GAIDAN,

Aubes d’avril et

soirs de novembre,

1870.

 

 

 

 

 

 

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