L’enfant
de l’album de Mme J. Arnaud
I
Dans son espoir et sa misère,
Depuis que, jeté sur la terre,
Le couple humain va sous les cieux,
Et sur son premier-né se penche,
Suspendant à la frêle branche,
La créature rose et blanche,
Comme l’oiseau son nid joyeux ;
Depuis que le Maître ineffable
Aux flancs de l’être périssable
Confia le labeur divin ;
Sous les abris du bois sonore
Sous le toit que l’orgueil décore,
Depuis que le ciel voit éclore
Cette fleur de l’amour humain :
L’enfant, ce mystère suprême,
Sphinx muet du profond problème,
Comme s’il en savait les lois,
Gracieuse et rose chimère,
Sur lui, dans une joie amère,
Fait s’incliner avec sa mère
Pâtres, docteurs, mages et rois.
Que leur dit cette faible aurore,
Cette existence qui s’ignore,
L’idole sans voix et sans yeux ?
Quel mot intelligent et tendre,
Que la sagesse puisse entendre
Et que le cœur puisse comprendre,
Digne de la terre et des cieux ?
À l’humble femme, à l’homme austère,
Aux petits, aux grands de la terre,
Que dit la lueur du berceau,
Cette vacillante lumière,
Ce sourire dans la matière,
Cette fleur sous cette poussière ?
À la chaîne que dit l’anneau ?
Il dit vie, il dit providence,
Il dit immortelle espérance ;
Il fait jaillir en traits de feu
Ce mot de l’ombre qui l’oppresse :
« Je suis amour » à la tendresse ;
« Je suis esprit, » à la sagesse,
L’enfant fait apparaître Dieu.
II
MARGUERITE
Et toi, jeune vie à l’aurore,
Pure étoile à notre horizon,
Front charmant où sommeille encore
La pensée, esprit et raison ;
Toi qui sembles sourire aux anges,
Et terminer dans ton berceau
Des rêves commencés là-haut,
Au sein des célestes phalanges ;
Lèvre vermeille encor sans voix
Pour les êtres de ces lieux sombres,
Œil bleu plein du ciel, qui ne vois
Ni notre terre ni ses ombres :
Pour celle qui te tend les bras,
Pour chacun sur toi qui s’incline,
Sois cette lumière divine
Qui fait voir la route ici-bas,
Dis à tous, gracieux Messie,
Au rêveur, au doute éternel,
À toute pensée obscurcie :
« Je viens de Dieu, je vais au ciel.
« Rayon émané de sa gloire
« Qu’en l’argile il veut enfermer,
« Je viens à mon tour faire croire
« Tous les cœurs que je fais aimer. »
Janvier 1857
Jean GAIDAN,
Aubes d’avril et
soirs de novembre,
1870.