Noël
À MA NIÈCE, ANAÏS A.
I
Clarté vraiment divine,
Dont la nuit du passé s’illumine,
Toi vers qui je m’incline,
Juste supplicié,
Une aube brille encore
Sur ta croix sanglante et la dore :
Ton jour va-t-il éclore,
Pâle crucifié ?
Vainement on se nomme
De toi, Christ, dans Moscow, Vienne ou Rome,
Partout du Fils de l’homme
L’homme rive les fers !
Sur ce globe coupable,
L’orgueil rit de la faim redoutable ;
Le juste est misérable
Et puissant le pervers.
Dans ton livre où leur rage
Versa l’encre et le sang sur la page,
Ils lisent esclavage
Où tu mis liberté.
Et Caïn sanguinaire,
Mordu par l’éternelle vipère,
Plonge aux flancs de son frère
Son glaive détesté.
Entends leurs cris de haine
Sur le mont, sur la mer, dans la plaine ;
Entends leurs cris de haine,
Des Andes au Japon.
Pour leur hideuse guerre
À la nue ils ont pris le tonnerre ;
Ils ont pris à la terre
Le fer et le poison.
Partout la lutte impie,
L’oppresseur au méchant qui s’allie,
Le meurtre dans l’orgie ;
Jamais, jamais l’amour !
La paix n’a plus d’asiles :
Dans les champs, au désert, dans les îles,
Sur le pavé des villes,
Roule le canon sourd.
II
Ah ! puisque cette race
Dans la boue et le sang se prélasse,
Et jamais ne se lasse
De son iniquité ;
Dieu puissant, Dieu colère,
Jéhovah, ressaisis ton tonnerre ;
Fais chavirer la terre
Et cette humanité.
Au vent de ta parole
Fonds la glace éternelle du pôle ;
De l’immense coupole
Sape les fondements ;
Renouvelle ce globe,
Que le mont sous le flot se dérobe,
Donne la mer pour robe
Aux vastes continents.
Et lorsque ta puissance
En tous lieux aura fait le silence,
Livre la vague immense
Au seul Léviathan.
_______
Et déjà l’astre passe
Vacillant, effaré dans l’espace,
Comme un vaisseau qui chasse
Au vol de l’ouragan.
Dans l’orage qui crève
J’ai cru voir la lueur de ton glaive ?
– Non, le soleil se lève,
Et nous sourit toujours ;
Des plaines essuyées
Aux clameurs des enfants, aux huées,
Dans les grises nuées
S’envolent les vautours.
Clarté pure et divine
Dont la nuit du passé s’illumine,
Toi vers qui je m’incline,
Juste supplicié,
Une aube brille encore
Sur ta croix sanglante et la dore :
Ton jour va-t-il éclore,
Pâle crucifié ?
1859
P.-Jean GAIDAN,
Aubes d’avril et
soirs de novembre,
1870.