Plaintes

 

 

Plainte d’un atome et sanglot d’un monde

Ont le même écho sous l’arche profonde.

 

La neige, qu’apporte un souffle ennemi,

A surpris aux champs la pauvre fourmi ;

Sous les blancs flocons où la mort l’assiège,

L’insecte s’écrie : Ô puissante neige !

 

Au ver mutilé, la neige répond :

Moi, puissante ! Hélas ! devant un rayon

Je vais dès demain sans bruit disparaître ;

Le soleil, voilà le fort et le maître.

 

Contre un peu de brume alors courroucé :

Quelle est votre erreur ! dit l’astre éclipsé ;

Ce néant me jette une ombre au visage :

Le puissant n’est pas celui qu’on outrage.

 

– Mais, crie aussitôt le rideau mouvant,

Je flotte au hasard porté par le vent,

Jouet de la brise et de la tempête.

 

Le vent, à son tour : Moi, ce mont m’arrête ;

Ses flancs de granit brisent mon effort ;

C’est lui, l’éternel, le grand et le fort.

 

Et l’Himalaya dans son blanc suaire ;

L’aigle sur moi vole et pose son aire,

Où ses fils hideux s’abreuvent de sang.

 

Et l’aigle, la cime alors dépassant :

L’homme m’a traqué dans mes hauts domaines,

L’homme, ce tyran des monts et des plaines,

Jusqu’à mes aiglons monte audacieux,

Et sa foudre encor m’atteint dans les cieux !

 

– Il m’écrase aussi, murmura l’atome ;

Le dominateur, ah ! vraiment c’est l’homme !

 

Et l’homme répond : Je nais faible et nu,

Je suis dans la main du maître inconnu,

Comme le ciron, le vent et l’étoile.

 

– Son nom ? disent-ils, et quel est son lieu ?

 

– Le ciel le raconte et pourtant le voile,

L’esprit le conçoit et l’appelle Dieu.

 

 

 

P.-Jean GAIDAN,

Aubes d’avril et

soirs de novembre,

1870.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net