La thébaïde

 

                                                Duco eam in solitudinem ;

                                            ea ibi loquar cor ejus.

 

 

Il s’était retourné du côté de l’aurore,

Et lorsque auprès de vous vous le cherchiez encore,

Son esprit avait fui d’un vol doux et puissant

Vers le Carmel d’Élie ou le désert de Jean.

 

. . . . . . . . . .

 

 

Loin des bruits des cités, sur la montagne aride.

Quel rêveur ne se crée un jour sa Thébaïde ?

Et, fatigué du monde et des tumultes vains,

Ne ferme aux vivants morts, qu’il ouvre aux morts divins,

La porte de ce temple intérieur où l’âme,

L’impérissable esprit, sent vaciller sa flamme ?

Et dans la solitude avec un soin pieux

Ne cherche à ranimer l’étincelle des cieux ?

Les pieds poudreux encor de la roule vulgaire,

Tout à son œuvre sainte, ardente et solitaire,

Il n’a pour les mortels d’un but terrestre épris,

Ni sauvage dédain ni farouche mépris :

La pitié monte seule à ces hauteurs sereines ;

Il gémit de les voir, glorieux de leurs chaînes,

Tourner comme chevaux en rond sur l’aire en feu,

Sans souci de leur âme et dans l’oubli de Dieu ;

Au-dessus des clameurs, et dans l’altière joie

De l’aigle poursuivant une invisible proie,

Des célestes clartés le regard ébloui,

Il fuit dans l’ineffable et plonge à l’inouï.

Mais le labeur divin de l’esprit sur lui-même

Ne l’anéantit pas ; il vit toujours, il aime !

Il entend dans son cœur et vibrer dans l’éther

Le cri des opprimés et l’appel libre et fier ;

Le bruit des Jérichos, lamentables ruines

Croulant au son vainqueur des trompettes divines ;

Le tremblement d’un monde et de deux océans

Sous l’effroyable choc des deux jumeaux géants ;

Et le grondement sourd de l’esclave qui rêve,

Noir Spartacus, dans l’ombre en aiguisant un glaive.

 

 

                                                             1861

 

 

 

P.-Jean GAIDAN,

Aubes d’avril et

soirs de novembre,

1870.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net